•  (rédigé le 10/03/2013)

    Plutôt que d'éditer ma dernière note pour lui insérer ces précisions, je préfère les mettre dans ce petit billet.

     

     

    Le premier couvent de Suzanne

     

    Le premier couvent où Suzanne est placée comme pensionnaire est appelé "Sainte-Marie". Il s'agirait, selon certains commentateurs, de la visitation sainte Marie. L'ordre de la Visitation vaut bien la peine qu'on s'y attarde. Il est fondé par l'évêque de Genève, François de Sales, une jeune veuve Françoise de Chantal et ses compagnes.

     

    Au point de départ, les religieuses avaient pour mission d'aller visiter et de réconforter les pauvres et les malades. Mais, à l'époque, on voit d'un mauvais oeil que des religieuses sortent de leur couvent. Malgré tous ses efforts, François de Sales se voit contraint d'accepter, pour ce nouvel ordre, une clôture papale, bien loin de son projet initial. Les nonnes seront cloîtrées et vouées à la contemplation. Cependant, cette nouvelle famille religieuse garde tout de même la particularité d'accueillir des femmes âgées, de santé fragile ou handicapées. Les soeurs suivent la règle de saint Augustin.

     

    Temple_Sainte-Marie_rue_Saint-Antoine_4.jpg

     

    Dans certains monastères, les visitandines se mettent à accueillir des pensionnaires et tiennent école au sein de leur clôture.  Ce type d'activités semble avoir pris fin avec le concile Vatican II. Il y a eu un couvent de la Visitation à Paris qui  fut fermé puis démoli à la révolution française. Seul en subsiste l'ancienne chapelle qui a été affectée au culte protestant en 1802.

     

    L'habit est décrit ainsi dans les constitutions originelles: une robe noire, coupée comme un sac, mais assez ample pour former des plis à la taille, une ceinture, des manches d'une largeur qui permet d'y cacher ses mains, une guimpe de type barbette, un bandeau noir et un voile noir.

    Elles portent également une croix d'argent passée à un ruban. La guimpe est carrée, elle est fixée aux épaules, sans doute par des épingles, elle ne balotte pas de droite à gauche. Il n'y a pas de scapulaire. 

     

    religieuse de diderot

    religieuse de diderot

     

     

    Rivette garde un seul costume pour tout le film. C'est que la trame prime sur le reste, les décors et les costumes passent à l'arrière-plan. Nicloux garde deux couvents sur les trois et compose un habit de son cru, éloigné de ce qu'un oeil averti peut considérer comme plausible.

     

    Les costumes sont, non seulement fantaisistes, mais en plus ils sont mal portés. Il est vrai que, du temps de Rivette ou de Zinnemann, les quidams avaient l'habitude de croiser des nonnes en grand habit, certains détails devaient aller de soi. Un scapulaire à bretelles doit être tenus aux épaules par des épingles pour l'empêcher de balloter. Une barbette rectangulaire doit être fixée également par des épingles pour rester parallèle aux épaules et ne partir de travers quand la religieuse penche la tête.

     

    religieuse de diderot

     

    religieuse de diderot

    Les voiles des religieuses du premier couvent sont souvent mal posés. Un voile n'est pas fait pour couvrir les clavicules et descendre sur la poitrine, on le laisse pendre vers l'arrière, il ne dépasse généralement pas l'épaule, même s'il est très long. Dans le film de Nicloux, on a parfois l'impression que les nonnes portent un linge posé n'importe comment sur la tête. Une fois sur deux, il est mal agencé. Un voile qui vient trop en avant est une gêne pour les mouvements des bras. 

          religieuse de diderot,nicloux

     

    Le scapulaire qui va d'un côté, la guimpe de l'autre, le voile qui tombe n'importe comment et les bras ballants, ça ne présente pas très bien sur une nonne censée incarner le modèle de la bonne religieuse. Il faut savoir que le "désordre dans la tenue" constituait une coulpe, une faute extérieure dont il fallait s'accuser au chapitre, à l'époque.

     

    Déhabillage ou pas ?

     

    Voici le texte :

    Et à l’instant je leur tendis les bras. Ses compagnes s’en saisirent. On m’arracha mon voile ; on me dépouilla sans pudeur. On trouva sur mon sein un petit portrait de mon ancienne supérieure ; on s’en saisit : je suppliai qu’on me permît de le baiser encore une fois ; on me refusa. On me jeta une chemise, on m’ôta mes bas, on me couvrit d’un sac, et l’on me conduisit, la tête et les pieds nus, à travers les corridors.

     

    Dépouiller signifie bien "déshabiller" à cette époque, et pudeur a le même sens qu'aujourd'hui. Faut-il en déduire que Diderot signifie qu'on a mis Suzanne dans le plus simple appareil ? Sein peut avoir le sens qu'il a aujourd'hui, il peut aussi désigner la région de la poitrine. Cette partie du corps est-elle entièrement nue pour autant ? Je le rappelle, on dit des personnes en chemise qu'elles sont nues, en ce temps-là.  Il est vrai qu'on jette ensuite une chemise à Suzanne, ce qui laisse entendre qu'on lui aurait ôté celle qu'elle avait — au XVIIIe siècle les femmes ne portent rien en dessous de la chemise. Mais elle pourrait très bien serrer celle dont on l'a dépouillé tout contre elle. Et pourquoi attend-on qu'elle ait passé cette chemise pour lui ôter ses bas, tant qu'à faire ? Il aurait fallu poser la question à Diderot pour en être sûr.  Ceci dit, le déshabillage intégral relève bien plus du phantasme que de la réalité.  D'ailleurs, dans la scène où Diderot décrit la discipline en public, la communauté voit Suzanne de dos  et elle ne se découvre que jusqu'à la ceinture.

     

    Les conventions de l'époque empêchent Rivette, qui s'est fait censuré pour moins que ça, de montrer ou même de suggérer une telle mise à nu. Nicloux flirte avec les prises de vue lascives, les chemises translucides et la mise à nu de Suzanne.

     

     

     

    Crédits photos: temple du marais : Clelie Mascaret, creative commons; La religieuse, Nicloux, le pacte, capture d'écran.


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