• En  1945, une bénévole américaine, Kathryn Hulme, pour l'aide aux personnes déplacées rencontre une infirmière belge taciturne et solitaire, Marie-Louise Habets. Elle finit par se lier avec elle et recueille ses confidences. L'infirmière a été religieuse durant dix-sept ans puis a quitté le couvent pour s'engager dans la Résistance. Kathryn Hulme recueille ses souvenirs et les consigne dans un roman biographique The nun's story, livre qui sera publié en français sous le titre de "Au risque de se perdre".

     

    Mais quand est-il des faits ? Née en 1905, Marie-Louise Habets entre en 1926 dans la congrégation des Soeurs de charité de Jésus et Marie. Cette congrégation a été fondée, à l'aube du XIXe siècle pour secourir "les pauvres et les miséreux". Leur spiritualité s'appuie sur Vincent de Paul et Bernard de Clairvaux. L'habit des premières soeurs est inspiré de celui des cisterciennes : blanc avec un scapulaire noir. La congrégation fleurit et fonde pas mal d'oeuvres sociales, parmi lesquels les soins aux aliénés. Elle est à l'origine de la fondation de plusieurs hôpitaux psychiatriques.

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    Marie-Louise prend le nom de Sr Xaverine. En  1933, elle part pour le Congo et en revient en 1939, car elle a contracté la tuberculose. La guerre éclate, le père de Sr Xavérine meurt, peu après, et la nonne développe une telle haine des Allemands qu'elle s'implique dans la Résistance. Elle finit par obtenir la dispense de ses voeux en 1944 et va se consacrer aux soins des soldats blessés.

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    C'est à partir de ce récit de vie que Katheryn Hulme crée le personnage de Gabrielle Van der Mal, soeur Luc. Pour d'obscures raisons de droits d'auteurs, le livre n'est plus réédité. Je l'avais emprunté à une bibliothèque, il y a de cela fort longtemps. Je ne l'ai plus sous la main ; je dois faire appel à mes souvenirs, en espérant qu'ils ne me trahissent pas. On y dit que les motivations de la jeune candidate sont mêlées. Il y a un amour déçu, auquel son père a mis un terme pour des raisons d'eugénisme, un désir de s'engager socialement ; quant à la vocation, elle reste une probabilité incertaine. Lorsque l'héroïne sort du couvent, elle va se faire prendre en photo et constate que ses cheveux ne sont pas prématurément blanchis, qu'elle est encore jeune et qu'elle peut commencer une nouvelle vie.

     

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    Quelques années après la parution du roman, une brillante adaptation cinématographique le met en scène sur le grand écran. Audrey Hepburn incarne une Soeur Luc des plus convaincantes. On ne peut que saluer son interprétation hors du commun. Les réactions face au contenu du film sont assez variées. Certains parlent de la rigidité des règles, de l'absurdité de la vie religieuse, de la stupidité de l'obéissance, etc. Mais qu'en pensait Marie-Louise Habets, elle-même ? Elle a dit admirer ces femmes consacrées à Dieu et regretter de ne pas avoir pu vivre cette vie de perfection.

     

    Et c'est bien cela, le fond de l'histoire. C'est sûr que, jusqu'à l'aggiornamento du concile Vatican II, la vie des religieuses apostoliques était réglée par des contraintes propres à la vie monastique, et donc totalement inadaptée, comme le grand silence, par exemple. Ce n'est pas un hasard si l'habit des soeurs de la charité de Jésus et de Marie est inspiré des cisterciennes. La première mère générale de leur congrégation fut novice chez les cisterciennes avant la révolution française. La vie monastique et la manière très régulée qui la caractérisait faisait figure de modèle, de référence.

     

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    Le gros problème de l'héroïne, c'est de vouloir à tout prix parvenir à cette perfection. Elle n'est pas capable de relativiser ses manquements aux règles. Elle n'a pas le recul nécessaire pour se dire qu'après tout, ce n'est pas si grave de se faire reprendre au chapitre, que ce sont des choses qui arrivent. Et d'ailleurs, tout le monde y passe. Cette poursuite de la perfection l'épuise. Elle ne parvient pas à donner aux choses leur réelle valeur. Sans doute est-ce le résultat d'une éducation trop perfectionniste, où le sens du devoir était trop contraignant.

     

    Il est intéressant de reprendre le dialogue entre la supérieure de la communauté de l'hôpital psychiatrique et Sr Luc après l'incident de "l'archange". Pour rappel: il y a une malade, surnommée l'archange, enfermée dans une cellule d'isolement, qui peut s'avérer très dangereuse. On avertit Sr Luc qu'elle ne peut pas lui ouvrir la porte seule, mais qu'elle doit appeler une infirmière.  Quand l'archange sonne pour demander un verre d'eau, Sr Luc pense que cela ne vaut pas la peine d'appeler une assistante, elle lui ouvre et se fait attaquer par la démente. Elle parvient tout de même à s'échapper et à refermer la porte de la cellule et sonne les infirmières. La supérieure arrive et Sr Luc s'accuse d'orgueil et de désobéissance. La conversation se prolonge dans le bureau de la supérieure.

    Au risque de se perdre supérieure asile.jpg

    — Orgueil ! Orgueil et désobéissance ! toujours la désobéissance !

    — Ne dites pas cela ! J'aurais fait la même chose.

     ***

    — Je m'accuse de désobéissance. J'ai cru que je pouvais m'occuper de l'archange toute seule. Je m'accuse d'avoir utilisé mon propre jugement, car je n'ai pas appelé à l'aide. Je m'accuse d'avoir eu un sentiment d'héroïsme. Ma mère, pendant trois jours, je me suis reposée à l'infirmerie et je me suis accusée de tous les défauts possibles envers la règle. Ce sont toujours des fautes flagrantes. A l'école de médecine tropicale, Mère Marcelle m'a donné l'occasion de me montrer humble en échouant à un examen.

    — Je sais. Mère Marcelle a de bonnes intentions, mais elle a eu tort de vous donner ce conseil. Mon enfant, je ne sous-estime la gravité de vos fautes. Mais vous ne devez pas vous laissez détruire par la culpabilité et le remords. Apprenez à accepter les choses, sinon vous craquerez.

    — Avant d'entrer dans la congrégation, j'avais une règle: tout ou rien. Je veux devenir une bonne religieuse sinon ...

    — Vous serez une bonne religieuse.

    — Je pensais qu'il était possible de trouver un jour le repos, que l'obéissance serait naturelle sans avoir à se battre.

    — Vous ne trouverez jamais le repos. Jamais. Mais vous devrez être patiente. Les saints malheureux sont perdus dès le début. Demandez à Dieu de vous aider et de vous guider. Je sais que vous arriverez à prononcer vos voeux.

    ***

     

    au risque de se perdre,the nun's story

    Tout le drame du film est résumé dans cette conversation. Dans ce passage, Sr Luc est encore en formation, elle doit encore prononcer ses voeux définitifs. C'est un peu normal, pour une débutante, de donner dans le pélagianisme, de vouloir escalader le ciel à la force des poignets. Le conseil de la supérieure est sage : être patiente, savoir s'accepter tel que l'on est, compter sur l'aide de Dieu, ne pas se laisser miner par la culpabilité et le remords. Mais Sr Luc ne parviendra pas évoluer, à franchir le pas. Elle s'installera dans son système volontariste, son auto-flagellation persistante et ne parviendra pas à accepter son état d'être humain, faillible et limité.

     

    Crédits photos: Soeur de charité de Jésus et Marie, libre de droits; Marie-Louise Habets alias  soeur Xavérine en habit de missionnaire, sans mention de copyright ; The nun's story, WB, captures d'écran.


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  • 16/03/2013
     

     


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  • Comme toujours, l'histoire que vous allez lire est vraie, seuls les noms ont été changés pour préserver la réputation des innocents.

     

    Pour ne pas jeter le discrédit sur un ordre religieux qui a souffert et souffre toujours de la situation, nous l'appellerons ordre de St Ores, un saint qui n'existe pas.

     

    Sr Fausta, soeur orésienne depuis près de vingt ans, a semé le trouble dans plusieurs couvents de Flandres et s'est fait renvoyé d'un autre en Terre Sainte. Elle échoue dans une communauté près de sa fin, joue de son charme et en devient  la supérieure. Elle accueille ses premières novices et impose au couvent un mode de vie déséquilibré. Une relation trouble la lie à l'une d'elle , Alexandra, à qui elle confie prématurément, pas mal de responsabilités. Des novices et une soeur conventuelle préfère quitter le monastère et les premières plaintes parviennent aux oreilles des responsables ecclésiastiques.

     

    dérive sectaire

     

    Nous sommes au milieu des années 80. Mère Fausta commence à se faire une réputation sulfureuse au sein de l'association des soeurs orésiennes de Belgique francophone. La vieille supérieure qu'elle avait remplacée est devenue sénile et malade. Elle est décédée au terme d'une longue hospitalisation. On reproche à Mère Fausta de ne pas avoir rendu visite à la vieille religieuse, de ne pas avoir mentionné sur le faire-part sa communauté d'origine. Malheureusement, l'association francophone ne pense pas à prendre ses renseignements en Flandres. Il faut dire que là, les monastères n'ont pas formé d'association semblable. La branche masculine y est encore vivante et elle fait office de lien, par le biais d'animation spirituelle, entre les monastères féminins. Quand Ria et Magda reviennent en Flandres, elles ne manquent pas de raconter ce qu'elles ont vécu à Saint-Hilaire, le favoritisme dont bénéficie Alexandra, ses crises de colère, les excès de travail, au détriment de la santé et surtout le caractère susceptible et versatile de Mère Fausta. 

     

     

    Malgré les efforts du père Bavo, Mgr Lebouc a empêché la conclusion de la visite canonique d'arriver jusqu'à Rome, histoire d'étouffer le scandale. Il essaie de limiter les dégâts. Quand il apprend que Marie-Noëlle désire commencer un noviciat à Saint-Hilaire, il s'arrange pour la rencontrer et s'emploie à l'en décourager. La jeune fille ne comprend pas ses raisons. Elle a pour accompagnateur spirituel le père Melchior, supérieur d'une communauté proche de Saint-Hilaire, le prieuré Saint-Martin. Ce bon père est tombé sur le charme de Mère Fausta, il ne veut pas ajouter foi aux rumeurs qui circulent à son sujet dans les milieux religieux.

    dérive sectaire

     

    Martine, elle, se confie à une religieuse apostolique. Celle-ci a eu vent de l'affaire de la soeur épuisée qu'on a déposée à l'hôpital et qui s'est confiée à la maîtresse des novices de Sainte-Barbe, Mère Louise. Elle en touche un mot à Martine qui ne peut pas la croire. Mère Fausta ne lui a jamais parlé de cette novice, Martine pense à une rumeur sans fondement. C'est que cette soeur a quitté la communauté avant que Martine n'entre en contact avec elle. Quand la jeune fille se rend à Sainte-Barbe, dans le seul but de confirmer son choix pour Saint-Hilaire, elle recontre Mère Louise qui tente de lui expliquer que la vie à Saint-Hilaire n'est pas vraiment la vie orésienne. Martine pense que la maîtresse des novices veut l'attirer dans son couvent et se promet de ne plus remettre les pieds là-bas.

     

    Entre temps, Mère Fausta a réussi à se faire réélire au poste de supérieure. C'est que les capitulantes, les soeurs avec droit de vote, n'ont pas vraiment le choix. Les jeunes soeurs sont encore au noviciat, et les plus âgées ne se sentent pas de taille. Et puis, malgré ses prétentions autoritaires enrobées de protestation de bonnes intentions, Mère Fausta dispose toujours de son capital séduction. Le charme, l'aura qu'elle dégage, fait qu'on finit par lui céder et à reconnaître des fautes qui n'ont jamais existé que dans la tête de la supérieure mégalomane et paranoiaque.

    dérive sectaire

     

    Même Mgr Lebouc ne peut qu'entériner cet état de fait. Il va même jusqu'à appuyer la demande de dispense, pour la succession de mandat. En effet, chez les orésiennes, on ne peut pas en accumuler plus de trois, de trois ans chacun.

     

    Une des anciennes, Soeur Agnès, qui est fille unique, a dû prendre un long congé hors monastère pour assister ses vieux parents dans leurs derniers moments. A peine l'enterrement terminé, Mère Fausta la convoque et lui parle de la vente de la maison familiale. C'est qu'il lui faut des fonds pour financer la rénovation du couvent. Soeur Agnès découvre le manque de délicatesse et l'appât du gain de sa supérieure. Mais que peut faire la pauvre nonne, sinon rejoindre son couvent ? Tout son héritage sera englouti dans les travaux démesurés que va entreprendre sa supérieure.

     

    Crédits photos : Don Camillo, monseigneur ; La vera storia della  monaca di Monza, capture d'écran.

     

     

    Episode 1 , épisode 2épisode 3épisode 4épisode 5,  épisode 6

     

     


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  •  (rédigé le 10/03/2013)

    Plutôt que d'éditer ma dernière note pour lui insérer ces précisions, je préfère les mettre dans ce petit billet.

     

     

    Le premier couvent de Suzanne

     

    Le premier couvent où Suzanne est placée comme pensionnaire est appelé "Sainte-Marie". Il s'agirait, selon certains commentateurs, de la visitation sainte Marie. L'ordre de la Visitation vaut bien la peine qu'on s'y attarde. Il est fondé par l'évêque de Genève, François de Sales, une jeune veuve Françoise de Chantal et ses compagnes.

     

    Au point de départ, les religieuses avaient pour mission d'aller visiter et de réconforter les pauvres et les malades. Mais, à l'époque, on voit d'un mauvais oeil que des religieuses sortent de leur couvent. Malgré tous ses efforts, François de Sales se voit contraint d'accepter, pour ce nouvel ordre, une clôture papale, bien loin de son projet initial. Les nonnes seront cloîtrées et vouées à la contemplation. Cependant, cette nouvelle famille religieuse garde tout de même la particularité d'accueillir des femmes âgées, de santé fragile ou handicapées. Les soeurs suivent la règle de saint Augustin.

     

    Temple_Sainte-Marie_rue_Saint-Antoine_4.jpg

     

    Dans certains monastères, les visitandines se mettent à accueillir des pensionnaires et tiennent école au sein de leur clôture.  Ce type d'activités semble avoir pris fin avec le concile Vatican II. Il y a eu un couvent de la Visitation à Paris qui  fut fermé puis démoli à la révolution française. Seul en subsiste l'ancienne chapelle qui a été affectée au culte protestant en 1802.

     

    L'habit est décrit ainsi dans les constitutions originelles: une robe noire, coupée comme un sac, mais assez ample pour former des plis à la taille, une ceinture, des manches d'une largeur qui permet d'y cacher ses mains, une guimpe de type barbette, un bandeau noir et un voile noir.

    Elles portent également une croix d'argent passée à un ruban. La guimpe est carrée, elle est fixée aux épaules, sans doute par des épingles, elle ne balotte pas de droite à gauche. Il n'y a pas de scapulaire. 

     

    religieuse de diderot

    religieuse de diderot

     

     

    Rivette garde un seul costume pour tout le film. C'est que la trame prime sur le reste, les décors et les costumes passent à l'arrière-plan. Nicloux garde deux couvents sur les trois et compose un habit de son cru, éloigné de ce qu'un oeil averti peut considérer comme plausible.

     

    Les costumes sont, non seulement fantaisistes, mais en plus ils sont mal portés. Il est vrai que, du temps de Rivette ou de Zinnemann, les quidams avaient l'habitude de croiser des nonnes en grand habit, certains détails devaient aller de soi. Un scapulaire à bretelles doit être tenus aux épaules par des épingles pour l'empêcher de balloter. Une barbette rectangulaire doit être fixée également par des épingles pour rester parallèle aux épaules et ne partir de travers quand la religieuse penche la tête.

     

    religieuse de diderot

     

    religieuse de diderot

    Les voiles des religieuses du premier couvent sont souvent mal posés. Un voile n'est pas fait pour couvrir les clavicules et descendre sur la poitrine, on le laisse pendre vers l'arrière, il ne dépasse généralement pas l'épaule, même s'il est très long. Dans le film de Nicloux, on a parfois l'impression que les nonnes portent un linge posé n'importe comment sur la tête. Une fois sur deux, il est mal agencé. Un voile qui vient trop en avant est une gêne pour les mouvements des bras. 

          religieuse de diderot,nicloux

     

    Le scapulaire qui va d'un côté, la guimpe de l'autre, le voile qui tombe n'importe comment et les bras ballants, ça ne présente pas très bien sur une nonne censée incarner le modèle de la bonne religieuse. Il faut savoir que le "désordre dans la tenue" constituait une coulpe, une faute extérieure dont il fallait s'accuser au chapitre, à l'époque.

     

    Déhabillage ou pas ?

     

    Voici le texte :

    Et à l’instant je leur tendis les bras. Ses compagnes s’en saisirent. On m’arracha mon voile ; on me dépouilla sans pudeur. On trouva sur mon sein un petit portrait de mon ancienne supérieure ; on s’en saisit : je suppliai qu’on me permît de le baiser encore une fois ; on me refusa. On me jeta une chemise, on m’ôta mes bas, on me couvrit d’un sac, et l’on me conduisit, la tête et les pieds nus, à travers les corridors.

     

    Dépouiller signifie bien "déshabiller" à cette époque, et pudeur a le même sens qu'aujourd'hui. Faut-il en déduire que Diderot signifie qu'on a mis Suzanne dans le plus simple appareil ? Sein peut avoir le sens qu'il a aujourd'hui, il peut aussi désigner la région de la poitrine. Cette partie du corps est-elle entièrement nue pour autant ? Je le rappelle, on dit des personnes en chemise qu'elles sont nues, en ce temps-là.  Il est vrai qu'on jette ensuite une chemise à Suzanne, ce qui laisse entendre qu'on lui aurait ôté celle qu'elle avait — au XVIIIe siècle les femmes ne portent rien en dessous de la chemise. Mais elle pourrait très bien serrer celle dont on l'a dépouillé tout contre elle. Et pourquoi attend-on qu'elle ait passé cette chemise pour lui ôter ses bas, tant qu'à faire ? Il aurait fallu poser la question à Diderot pour en être sûr.  Ceci dit, le déshabillage intégral relève bien plus du phantasme que de la réalité.  D'ailleurs, dans la scène où Diderot décrit la discipline en public, la communauté voit Suzanne de dos  et elle ne se découvre que jusqu'à la ceinture.

     

    Les conventions de l'époque empêchent Rivette, qui s'est fait censuré pour moins que ça, de montrer ou même de suggérer une telle mise à nu. Nicloux flirte avec les prises de vue lascives, les chemises translucides et la mise à nu de Suzanne.

     

     

     

    Crédits photos: temple du marais : Clelie Mascaret, creative commons; La religieuse, Nicloux, le pacte, capture d'écran.


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  • Le premier couvent de Suzanne

     

    Le premier couvent où Suzanne est placée comme pensionnaire est appelé "Sainte-Marie". Il s'agirait, selon certains commentateurs, de la visitation sainte Marie. L'ordre de la Visitation vaut bien la peine qu'on s'y attarde. Il est fondé par l'évêque de Genève, François de Sales, une jeune veuve Françoise de Chantal et ses compagnes.

    Au point de départ, les religieuses avaient pour mission d'aller visiter et de réconforter les pauvres et les malades. Mais, à l'époque, on voit d'un mauvais oeil que des religieuses sortent de leur couvent. Malgré tous ses efforts, François de Sales se voit contraint d'accepter, pour ce nouvel ordre, une clôture papale, bien loin de son projet initial. Les nonnes seront cloîtrées et vouées à la contemplation. Cependant, cette nouvelle famille religieuse garde tout de même la particularité d'accueillir des femmes âgées, de santé fragile ou handicapées. Les soeurs suivent la règle de saint Augustin.

     

    Temple_Sainte-Marie_rue_Saint-Antoine_4.jpg

     

     

     

    Dans certains monastères, les visitandines se mettent à accueillir des pensionnaires et tiennent école au sein de leur clôture.  Ce type d'activités semble avoir pris fin avec le concile Vatican II. Il y a eu un couvent de la Visitation à Paris qui  fut fermé puis démoli à la révolution française. Seul en subsiste l'ancienne chapelle qui a été affectée au culte protestant en 1802.

    L'habit est décrit ainsi dans les constitutions originelles: une robe noire, coupée comme un sac, mais assez ample pour former des plis à la taille, une ceinture, des manches d'une largeur qui permet d'y cacher ses mains, une guimpe de type barbette, un bandeau noir et un voile noir.

    Elles portent également une croix d'argent passée à un ruban. La guimpe est carrée, elle est fixée aux épaules, sans doute par des épingles, elle ne balotte pas de droite à gauche. Il n'y a pas de scapulaire. 

     

    religieuse de diderot

     

    religieuse de diderot

     Rivette garde un seul costume pour tout le film. C'est que la trame prime sur le reste, les décors et les costumes passent à l'arrière-plan. Nicloux garde deux couvents sur les trois et compose un habit de son cru, éloigné de ce qu'un oeil averti peut considérer comme plausible.

    Les costumes sont, non seulement fantaisistes, mais en plus ils sont mal portés. Il est vrai que, du temps de Rivette ou de Zinnemann, les quidams avaient l'habitude de croiser des nonnes en grand habit, certains détails devaient aller de soi. Un scapulaire à bretelles doit être tenus aux épaules par des épingles pour l'empêcher de balloter. Une barbette rectangulaire doit être fixée également par des épingles pour rester parallèle aux épaules et ne partir de travers quand la religieuse penche la tête.

     

     

    religieuse de diderot

     

     

     

    religieuse de diderot

     

    Les voiles des religieuses du premier couvent sont souvent mal posés. Un voile n'est pas fait pour couvrir les clavicules et descendre sur la poitrine, on le laisse pendre vers l'arrière, il ne dépasse généralement pas l'épaule, même s'il est très long. Dans le film de Nicloux, on a parfois l'impression que les nonnes portent un linge posé n'importe comment sur la tête. Une fois sur deux, il est mal agencé. Un voile qui vient trop en avant est une gêne pour les mouvements des bras. 

     

          religieuse de diderot,nicloux

     Le scapulaire qui va d'un côté, la guimpe de l'autre, le voile qui tombe n'importe comment et les bras ballants, ça ne présente pas très bien sur une nonne censée incarner le modèle de la bonne religieuse. Il faut savoir que le "désordre dans la tenue" constituait une coulpe, une faute extérieure dont il fallait s'accuser au chapitre, à l'époque.

     

    Déhabillage ou pas ?

     Voici le texte :

    Et à l’instant je leur tendis les bras. Ses compagnes s’en saisirent. On m’arracha mon voile ; on me dépouilla sans pudeur. On trouva sur mon sein un petit portrait de mon ancienne supérieure ; on s’en saisit : je suppliai qu’on me permît de le baiser encore une fois ; on me refusa. On me jeta une chemise, on m’ôta mes bas, on me couvrit d’un sac, et l’on me conduisit, la tête et les pieds nus, à travers les corridors.

     Dépouiller signifie bien "déshabiller" à cette époque, et pudeur a le même sens qu'aujourd'hui. Faut-il en déduire que Diderot signifie qu'on a mis Suzanne dans le plus simple appareil ? Sein peut avoir le sens qu'il a aujourd'hui, il peut aussi désigner la région de la poitrine. Cette partie du corps est-elle entièrement nue pour autant ? Je le rappelle, on dit des personnes en chemise qu'elles sont nues, en ce temps-là.  Il est vrai qu'on jette ensuite une chemise à Suzanne, ce qui laisse entendre qu'on lui aurait ôté celle qu'elle avait — au XVIIIe siècle les femmes ne portent rien en dessous de la chemise. Mais elle pourrait très bien serrer celle dont on l'a dépouillé tout contre elle. Et pourquoi attend-on qu'elle ait passé cette chemise pour lui ôter ses bas, tant qu'à faire ? Il aurait fallu poser la question à Diderot pour en être sûr.  Ceci dit, le déshabillage intégral relève bien plus du phantasme que de la réalité.  D'ailleurs, dans la scène où Diderot décrit la discipline en public, la communauté voit Suzanne de dos  et elle ne se découvre que jusqu'à la ceinture.

    Les conventions de l'époque empêchent Rivette, qui s'est fait censuré pour moins que ça, de montrer ou même de suggérer une telle mise à nu. Nicloux flirte avec les prises de vue lascives, les chemises translucides et la mise à nu de Suzanne.

     Crédits photos: temple du marais : Clelie Mascaret, creative commons; La religieuse, Nicloux, le pacte, capture d'écran.


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