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La nonne dans la mythologie télévisuelle. Episode 5
Une série britannique très sympathique passe pour le moment sur nos écrans, Meurtres au paradis (Death in Paradise) où un inspecteur psychorigide, parachuté dans une île des Caraïbes doit résoudre des énigmes policières avec des moyens réduits. Nous retrouvons dans le rôle de Sœur Anne, Gemma Jones, une figure connue du cinéma britannique. Elle a interprété Mrs Dashwood dans Raison et Sentiments et Poppy Pomfresh dans Harry Potter. Cet épisode-ci tient pas mal la route, même si un regard averti relève certaines incohérences. Elles restent minimes par rapport à certaines énormités qu'on peut relever dans d'autres oeuvres du genre.
Le dernier épisode Faux semblants (An Unholy Death) mettait en scène le meurtre d'une jeune postulante. On l'appelle Thérèse, les religieuses n'utilisent pas le mot "sœur" pour parler d'elle. Cela est tout à fait normal puisqu'elle est postulante. Une postulante n'est pas encore religieuse à proprement parlé, elle le devient en commençant son noviciat et prend à ce moment un nom religieux, même si elle garde son nom de baptême, on l'appellera "sœur".
Pourtant, au cours de 'l'épisode, on parlera d'elle comme d'une novice, en maintenant une certaine confusion entre les deux états. Une postulante est prise en charge, la plupart du temps, par la responsable du noviciat, mais elle n'est pas encore novice. Le noviciat débute par la prise d'habit, là où il y en a un. Donc petite erreur : Thérèse ne devrait pas porter l'habit de sa congrégation. Elle peut porter des vêtements spécifiques à son état, mais pas les mêmes que les autres sœurs. La seule différence qu'ont faite les costumiers se situe au niveau du voile. Celui de Thérèse n'a pas de bord blanc.
Au passage, l'actrice qui interprète Sœur Marguerite a une légère touche de rouge à lèvres. S'il est normal que les actrices soient maquillées, pour des raisons techniques, on aurait pu ce maquillage plus discret. Puisqu'on en est au niveau des costumes, la supérieure porte une guimpe alors que les autres sœurs n'en ont pas. Ce détail est tout à fait incohérent. La supérieure d'un couvent ne se distingue pas des autres sœurs au niveau vestimentaire. Elle peut porter une croix abbatiale, si elle est abbesse, mais ça se limite à ça.
La postulante meurt, intoxiquée par la fumée d'une cigarette et on apprend qu'elle fume, qu'elle mâche des chewing-gum et qu'elle boit de l'alcool, qu'elle a contracté cette mauvaise habitude à l'orphelinat où elle a été élevée ... Ah ! Ce cher orphelinat ... qui n'existe plus dans nos contrées. Bon nombre de scénaristes semblent ignorer que, de nos jours, un enfant sans famille ou enlevé à sa famille est placé en famille d'accueil ou alors en foyers de l'enfance. La pauvre orpheline, éduquée en institution qui ne pourrait pas faire face à la vie et se réfugie dans un couvent ... ça ne tient pas trop la route, au XXIe siècle.
Une postulante qui fume, est-ce plausible ? Au risque d'en choquer certains, je dirais oui. Pas n'importe où, pas dans n'importe quel couvent. Mais que, dans certains instituts on permette à des postulants ou postulantes de ne pas se défaire tout de suite de certaines habitudes, qu'on leur laisse une certaine latitude, sous certaines conditions, c'est plausible. Le chewing-gum est un détail à côté de l'habitude de fumer. Quant à l'alcool, cela pose question. Mais on ne donne pas de détails qui permettrait de relativiser. Évidemment, boire seule, hors de question. Mais se permettre un petit verre dans certaines occasions, cela peut se faire. Les religieuses ne se vouent pas à l'abstinence totale de boisson alcoolisée.
Une autre incohérence fréquemment relevée dans les scénarii du genre, c'est que le Père John serait habilité à laisser cette latitude à la jeune personne. La formation des candidates ne relève pas de la compétence du chapelain ou de l'aumônier. Son rôle est de dire la messe, éventuellement de confesser, mais certainement pas de donner des permissions aux postulantes et aux novices. Cela revient à la maîtresse des novices.
Contrairement à ce qu'affirme le Père John, dans cette série, une postulante ne renonce pas à tous ses biens, ni à tout contact avec l'extérieur. Le renoncement aux biens ne se fait qu'à la profession. L'entrée au postulat, ou en religion, n'entraîne pas une rupture de contact totale. Si c'était le cas, il faudrait être particulièrement vigilant sur la nature de l'institut.
Penchons-nous sur la source miraculeuse qui n'en est pas une. Des sœurs ou des ecclésiastiques peuvent-ils en arriver à mentir pour faire croire qu'une source est miraculeuse ? Les religieux et les ecclésiastiques sont des gens comme les autres, ni plus saints, ni plus pervers que le reste des individus qui habitent le vaste monde. On y rencontre aussi des personnes enclines à l'exagération et même des personnes qui n'ont pas de scrupules à "arranger" la vérité. Restons lucides.
Des difficultés financières peuvent-elles amener à fermer un couvent ? Oui, s'il ne s'agit pas de simples difficultés mais d'une catastrophe financière. Mais ce n'est pas la raison la plus courante pour fermer une communauté. Dans une congrégation, la solidarité joue entre les différentes implantations, puisqu'il y a un organe central pour redistribuer les rentrées financières. On peut aussi fermer une maison où il y a de grosses rentrées financières parce que la communauté devient trop âgée et ne parvient plus à gérer un flux de pèlerins, ça s'est déjà vu.
Le cas du Père John ne tient pas debout, est-il religieux ou séculier ? Pourquoi l'aurait-on éloigné d'un amour de jeunesse, s'il n'était pas encore clerc à l'époque. S'il est religieux, le diocèse n'a pas à l'envoyer à l'autre bout du monde et s'il est séculier ... non plus, puisqu'un évêque ne peut pas envoyer un prêtre de son diocèse dans un autre, comme ça lui chante. Si le Père John est séculier, il n'a pas non plus à changer de nom.
Attention spoilers, si vous n'avez pas vu l'épisode, ça va vous dévoiler une partie de l'intrigue !
Une nonne qui commet un meurtre, c'est possible ? Eh bien oui. Ce n'est pas courant, c'est vraiment exceptionnel, mais même à notre époque, ça peut arriver. Dans les années septante, une religieuse flamande, Sr Godfrieda (C.Bombeek) a escroqué, maltraité et euthanasié des personnes âgées. Elle a été ensuite internée pour démence. Dans les années 2000, en Amérique latine, une maîtresse des novices a empoisonné une religieuse dont elle était jalouse.
Cet épisode se rencontre sans ennui, et les erreurs concernant la vie religieuse qu'on peut y rencontrer sont minimes. L'intrigue peut tenir la route et l'atmosphère conventuelle est pas mal rendue.
Crédits photos : BBC.co.uk
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