• Novitiate : complètement à côté de la plaque

    Le film est sorti en 2017 et peut se voir en streaming sur la toile : Novitiate. Il raconte le parcours d'une jeune fille qui rentre dans un monastère de contemplatives y fait son postulat et son noviciat puis voit naître des doutes sur sa vocation.

    Les questions de fond méritaient d'être traitées : les changements qu'ont entraîné le concile Vatican II dans la vie religieuse, le problème des manques affectifs, surtout chez des candidats très jeunes, dans les couvents et les dérapages que cela peut entraîner, les pénitences et les mortifications.

    Malheureusement, la scénariste a enchaîné invraisemblance sur invraisemblance, ce qui donne un joyeux portnawak pour qui connaît le milieu où se passe l'histoire. La liste des erreurs n'est pas très compliquée à dresser.

    On  commence par le début du film où l'on voit des femmes entrer tête nue dans une église, ce qui était impensable à l'époque où l'action est sensée se passer, 1964. Impensable également pour une jeune fille de cette époque de ... laisser pendre ses cheveux. Ben oui, une demoiselle bien éduquée les attachait pour ne pas passer pour une moins que rien.

    La demoiselle rentre au couvent, un couvent de contemplatives. Mais la mère supérieure n'a pas jugé bon d'informer ses ouailles que le concile Vatican II a débuté. Un peu gros à avaler. Quand le concile s'est ouvert, on ne savait pas encore à quoi il allait aboutir. Le pape et les évêques ont demandé explicitement aux religieuses, surtout aux contemplatives, de prier pour le bon déroulement du concile. On voit donc mal pourquoi et comment une supérieure n'en aurait rien dit à ses soeurs.

    Et si l'idée saugrenue lui était venue à l'esprit de le faire, le prêtre chargé de dire la messe et de prêcher n'aurait pas manqué d'y faire allusion dans ses sermons. La seule chose qu'il était permis et même conseillé de lire à l'époque dans les couvents les plus fermés, c'était l'Osservatore romano, le journal du Vatican. Même dans les carmels derrière les voiles et les doubles grilles, on suivait les actes du Concile.

     

    Parlons des costumes qui tiennent à la fois du carnaval et du défilé de mode pieuse. Les postulantes s'en vont, les cheveux lâches, en coiffant juste leur voile pour entrer à l'église. Les novices ne portent pas de guimpe, alors que les professes en ont. Allez savoir pourquoi. La supérieure porte un bandeau et une barbette made in XVIe siècle en plus de sa guimpe. A l'époque les postulantes portent constamment leur petit voile sur des cheveux noués. Les novices ont la même coiffe que les professes, supérieure comprise, seul le voile diffère de celui des professes, par sa couleur, sa coupe ou la matière dans lequel il est fait.

     

    On voit les candidates ôter leur chemisette pour mettre leur robe comme si on l'a portait sur la peau nue, ce qui est loin d'être le cas dans la vraie vie où on n'aimait accumuler les couches de vêtements. Ces chemisettes n'ont pas de manches, impensables pour des religieuses. Une religieuse ôte sa coiffe en cellule, on voit des cheveux mi-longs alors qu'ils devraient être coupés courts ou du moins bien noués. Quand on voit les soeurs de communauté défiler, on aperçoit leurs cheveux qui sortent de leur guimpe. Ce qui est considéré comme un manque de tenue à l'époque.

     

    Question manque de tenue, on verra les postulantes s'asseoir à même le sol dans les couloir ou négligemment sur un muret, comme des ados contemporaines. Tout simplement impensable dans un couvent dans les années soixante.

     

    La maîtresse des postulantes est une jeune professe. Normalement ce rôle est attribué à une religieuse expérimentée. On annonce aux postulantes qu'elles feront un noviciat de dix-huit mois avec des premiers voeux. Le noviciat dure un an ou deux, il débute par la prise d'habit et  non par des voeux. Les voeux se font à la première profession, après le noviciat pour une période de trois ans (ou trois fois un an) au minimum.

     

    A aucun moment on ne voit les religieuses réciter l'office divin, la liturgie des heures. On ne parle que de messe comme si c'était le seul moment où les soeurs vont à l'église !   La supérieure annonce que le prêtre dit la messe dos au peuple et en latin, comme si c'était une nouveauté, alors qu'à l'époque cela se faisait partout comme ça.

     

    Une des postulantes raconte que c'est le film "Au risque de se perdre" qui l'a motivée à entrer au couvent, Audrey Hepburn y incarnant "une sainte". Or ce film raconte l'histoire d'une religieuse qui n'arrive pas à se plier aux usages des couvents et finit par s'en aller, on voit mal comment l'argumentation de la postulante tient debout.   

     

    Erreur récurrente dans ce genre de film : le nombre de postulantes et de novices, comme s'il en pleuvait. Dans un monastère autonome, le noviciat représente rarement plus d'un tiers des effectifs. 

     

    Passons à la personnalité de la supérieure. Soyons clair : si jamais une supérieure se comporte comme ce personnage, c'est qu'elle est  déséquilibrée. Les soeurs de communauté seraient en droit, ou plutôt en devoir de prévenir l'évêché pour qu'elle soit démise de ses fonctions.

     

    Au début du film, la supérieure accueille les candidates avec un petit discours, puis termine en demandant s'il y a des questions. Une des jeunes filles lève la main. Ma soeur, les postulantes n'ont pas de question, déclare la supérieure, prenez vos affaires et rentrez chez vous. Quelle supérieure irait tendre un piège de ce type à une candidate ?

    Dans une autre séquence, la supérieure réprimande une postulante qui l'a saluée à haute voix pendant le grand silence. Elle tonne, vocifère, alors qu'elle ne se tient pas à elle-même à grand silence comme le lui fait  remarquer l'infortunée candidate. Puis elle oblige la jeune fille à marcher à quatre pattes en priant  des Je vous salue Marie et continue à la réprimander parce que la pauvre prie à haute voix.  La séquence d'après, on apprend que la postulante a été renvoyée  parce qu'elle ne savait pas se taire.

    A moins d'être folle, aucune supérieure ne se comporte comme ça. Un geste de la main pour faire taire la distraite, une remarque quand le grand silence a cessé suffisait. Surtout qu'il s'agit d'une postulante, c'est à dire d'une candidate en phase d'acclimatation. Marcher à quatre pattes, en plein air, est une pénitence indiscrète et d'un autre âge, même dans les années soixante. Encore une fois, on ne devait pas l'imposer à une postulante envers qui on doit être plus indulgente.

     

    On voit la maîtresse des postulantes faire répéter indéfiniment, dans quel but ? on l’ignore, la même phrase recto tono à ses dirigées. Au même moment, trois religieuses débarquent au choeur et intiment à deux postulantes de les suivre. Elles sont renvoyée illico parce qu'elles auraient eu une amitié particulière, elles se seraient trop recherchées mutuellement.

     

    Il est plausible qu'on renvoie des candidates pour ce genre de motifs, mais dans ce cas, on les convoque à un moment opportun, on ne va pas les faire chercher en pleine répétition devant toutes les autres, comme on arrête un délinquant.

     

    Suite à ces incidents, la maîtresse des postulantes décide de quitter le couvent. Elle l'annonce à ses dirigées mais assure qu'elle restera membre de l'Eglise catholique. Dans les faits, pour quitter le couvent, à cette époque, elle aurait besoin d'un indult de sécularisation ou du moins d'exclaustration. Partir sans cela, c'était se mettre en faute. Une telle démarche prend du temps. De plus, dans les années soixante, quand on part, c'est par la petite porte, sans faire de bruit.

     

     

    Pour la prise d'habit, on entend le requiem de Faure et on a droit au fameux épisode du catafalque qui recouvre les novices. Le requiem se joue aux enterrements, pas aux prises d'habit, le catafalque, là où il était utilisé était réservé aux professions perpétuelles.  La prise d'habit ressemblait à un mariage et la profession à une mort au monde.     

     

    Le soir de la vêture, les novices vont au font du jardin, en robe de mariée et tête nue sautiller autour d'un feu et chanter qu'elles ont épousé Dieu. Quand on prend l'habit, on le garde, on ne s'habille plus ensuite en mariée. Le soir, c'est le fameux grand silence que la supérieure tient à faire respecter.

     

    D'ailleurs plus de maîtresse des novices ! La maîtresse des postulantes étant partie, c'est comme si ce poste était déserté. Mais il y avait des novices au début du film, qui s'occupait d'elles ? La supérieure va reprendre cette charge, semble-t-il. Elle instaure un chapitre des coulpes ahurissant.

     

    Un vrai chapitre des coulpes se tient assis dans des rangées de stalles face à face, au chapitre, ou debout en demi-cercle, mais pas à genoux. La maîtresse des novices doit préparer les candidates à cet exercice, leur expliquer le déroulement des coulpes, leur donner le temps d'examiner leur conscience.

     

    Le chapitre des coulpes est le moment où l'on s'accuse de manquements extérieurs, de manquements aux règles. ce n'est pas une confession publique. Les soeurs viennent à tour de rôle s'agenouiller au centre pour s'accuser de ces manquements et elles reçoivent une pénitence. Ces pénitences sont proportionnées à leur avancement en religion, au fait que la coulpe soit légère ou grave, occasionnelle ou récurrente.

    On est loin du cirque que dépeint le film  où les pauvres filles se retrouvent à genoux sans trop savoir ce qui leur arrive, se déplacent à genoux, sont pressées d'accuser leurs mouvements intimes de leur vie spirituelle et se  livrent à des règlements de compte. Si on a donner la discipline en pénitence jusqu'au XVIIIe siècle, c'était pour des fautes extrêmement graves et l'usage s'est perdu au siècle suivant. 

     

    La discipline est un usage institutionnel dans les monastères de l'époque. Les soeurs la prennent à certains jours fixes, pendant un temps déterminé, le temps de tel ou tel psaume. Les novices sont progressivement initiées à ces pratiques de pénitence. Aux antipodes de ce que dépeint le film.

     

    Quand une soeur veut faire pénitence en prenant la discipline, elle ne ne le fait pas pour telle ou telle faute précise commise mais parce qu'elle fait pénitence pour tous les pécheurs qui ne le font pas. Elle n'a pas à se justifier, juste à demander la permission. Toutes les soeurs ont leur discipline propre. On ne va pas demander l'unique discipline du monastère à la supérieure.

     

    Passons aux changements que le concile a entraîner dans la vie religieuse. Il y a encore de nos jours des monastères où le concile n'a eu qu'un seul impact : l'heure à laquelle on dit tel ou tel office. Le concile ne demandait qu'une chose aux religieux : adapter leur habit religieux, si besoin en était, rien d'autre.  La vérité des heures canoniales a été  imposée à toute l'Eglise. Le fait de pouvoir les dire dans la langue vernaculaire était une possibilité pas une obligation. Le scénariste n'a pas lu Perfectae Caritatis de toute évidence.

     

    Donc un archevêque qui fait des suggestions qui sont des obligations à une supérieure dans le déni pour adopter les mesures du concile, c'est de la science-fiction. Là où les monastères ou les congrégations ont opéré des changements, cela a été le fait de la communauté qui a révisé certains usages, les a adaptés aux circonstances de lieu et d'époque.  Le discours que tient la supérieure à ses subordonnées annonçant que les soeurs ont le droit de ne plus porter d'habit si elles le désirent est du grand n'importe quoi. Ces décisions se prennent collectivement pas individuellement.

     

    Revenons à notre jeune héroïne en proie à ses hormones. Si elle veut se donner la discipline c'est parce qu'elle sent des désirs bien charnels se manifester, mais on ne la voit en parler à personne, surtout pas à la supérieure, mais pas non plus au confesseur, le grand absent de ce film. Elle se met à jeûner sans que personne n'y voit à redire.

     

    La hantise de l'anorexie est un fait bien établi dans les couvents. Un bon appétit est gage de vocation, personne, surtout pas une novice ne peut se mettre à jeûner sans permission. Laisser une candidate s'affamer, ça relève aussi de la science-fiction, ou de la dérive sectaire. La mère de l'héroïne qui a d'abord vu sa fille au parloir, avec grille, au début du film est reçue ensuite, Dieu sait pourquoi, dans un salon. Elle s'insurge quand elle voit sa fille dépérir.

     

     

     

    Au fait, cette fille est mineure et n'est là qu'avec la permission parentale. Pourquoi sa mère ne la reprend-elle pas chez elle, surtout qu'elle est agnostique ? Une autre fantaisie du scénario. La mère supérieure reçoit  la mère inquiète dans son bureau alors qu'elle devrait la voir au parloir pour les mêmes raisons de fantaisie scénaristique. Et toujours à moins d'être folles, les religieuses n'exigent pas de leur interlocuteur de leur donner les titres qu'elles portent en religion. Il n'y a rien d'impoli d'appeler "madame", une religieuse.

     

    On continue avec le summum de l'aberration quand la candidate avoue publiquement avoir eu une relation saphique avec une autre novice. Un tel aveu devrait entraîner le renvoi immédiat de la novice qui n'est tenu par aucun voeu. Ce genre d'aveu n'a d'ailleurs pas sa place au chapitre des coulpes mais dans le confessionnal et dans le bureau de la supérieure. Au lieu de cela, on verra la jeune fille admise à la profession mais qui au lieu de faire de ses vœux annonce qu'elle cherche "autre chose". Pourquoi se rendre alors à la cérémonie ?

     

    Le film s'achève avec le générique où l'on dit que le Concile a entraîné le départ de beaucoup de religieux, ce qui est vrai. Mais quel rapport avec le film ? Novitiate est à la vie religieuse ce que Les bidasses en folie sont à l'armée.   

     

    Ce qui est irritant, ce n'est pas que le film parle d'homosexualité ou de pénitences idiotes.  Ce qui est irritant c'est qu'il  traite d'un sujet qu'il ne maîtrise pas faute de documentation appropriée alors que de vrais dérapages et dérives sectaires ont lieu actuellement dans certaines congrégations et dans certains couvents sans que personne ne pense à en faire un film.                    


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