• Les Anges du péché

     

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    Les Anges du péché est un vieux film de 1943 qui raconte le parcours d'une jeune fille exaltée et orgueilleuse dans sa quête de gagner une âme perdue alors qu'elle entre dans une congrégation dominicaine vouée à la réhabilitation de filles perdues.

    Le film a délicieusement vieilli. Le ton est grandiloquent, les actrices bien maquillées, la diction impeccable et le scénario naïf, disons-le tout de suite. C'est un trait commun a beaucoup de films de l'époque où la cohérence et la crédibilité cède le pas sur le désir de raconter une belle histoire. Rappelons-nous que, lorsqu'il fut tourné et lorsqu'il sortit dans les salles, c'était la guerre et le public attendait sans doute de pouvoir s'évader de ses soucis quotidiens et de rêver à une fin heureuse.

     

    La congrégation à laquelle le film fait allusion existe bel et bien ; il s'agit des dominicaines de Béthanie. Elle fut fondée  dans la seconde moitié du XIXe siècle par un dominicain, le père Lataste. Ému par la situation des détenues auxquelles il venait de prêcher une retraite en prison, il en vint à inaugurer cette nouvelle famille religieuse qui permettait à celles de ces femmes qui le désiraient de devenir religieuse.

     

     

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    Il faut savoir qu'à l'époque, on n'admettait pas n'importe qui au couvent. Certaines maisons allaient jusqu'à fermer leurs portes aux enfants nés hors mariage. Cette fondation répondait donc à un besoin de l'époque et elle avait quelque chose de novateur, de révolutionnaire. On y accueillait aussi bien des filles sans histoire que des femmes qui avait un parcours moins reluisant. Parallèlement, les sœurs visitaient les prisonnières pour leur apporter un réconfort spirituel.

     

    Quand l'institut fut fondé, les "réhabilitées" faisaient un double noviciat. Elles commençaient par être aspirante durant plusieurs mois, puis prenaient l'habit, mais un habit noir, pour une période d'acclimatation. Durant environ trois ans, elles s'initiaient à la vie religieuse mais bénéficiaient d'un régime un peu plus doux que celui des sœurs en blanc. Une fois cette période terminée, elles quittaient leur habit noir, devenaient postulantes et suivaient le même parcours que les filles ordinaires pour revêtir l'habit blanc. Elles étaient alors soumises, comme les autres à certaines privations, propre à l'état religieux à l'époque. Personne ne pouvait, de l'extérieur, distinguer les réhabilitées des autres. Cette formule particulière et novatrice permettait de donner le temps nécessaire au cheminement, au discernement et à la formation quand les lois d'Eglise imposaient des délais plus courts qu'aujourd'hui pour l'engagement définitif.

     

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    De nos jours, la congrégation ne suit plus ce régime du double noviciat.  Seule la prieure générale connaît le passé  des sœurs. Celles-ci sont tenues à la discrétion ; elles ne parlent pas de leur histoire entre elles. La congrégation a encore une maison en France, une en Suisse et une autre en Italie. Aux Etats-Unis, une fraternité masculine a vu le jour à l'intérieur d'une prison. Rattaché à l'ordre séculier dominicain, elle vit avec la même structure et au même rythme qu'un couvent : il y a un supérieur et son conseil, on y fait un postulat, un noviciat, on y prononce des vœux, on y prie la liturgie des heures, etc.

     

    Mais revenons-en au film. Les premières minutes rappellent assez fidèlement les récits rapportés dans un livre paru à la fin des années trente, Les Dominicaines des prisons. Le fait que les nonnes restent à prier la même antienne durant tout le sauvetage de la repentie prête tout de même à sourire. Apparaît ensuite le personnage d'Anne-Marie, aussi attachant qu'improbable. C'est avec son apparition que s'accumulent d'incroyables incohérences. Il ne suffit pas de débarquer avec sa valise dans un couvent pour y être admis sur le champ, même à l'époque, surtout pour un institut avec un charisme si particulier. Le fondateur disait qu'une candidate innocente devait avoir quelque chose à sacrifier en y entrant : la jeunesse, le talent, la fortune ... Ici, la candidate a bien quelque chose à sacrifier, mais elle ne le songe pas à le faire : son orgueil.

     

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    Anne-Marie débarque avec la volonté ferme de sauver des âmes, mais également avec un énorme complexe de chien du Saint-Bernard, persuadée de pouvoir tout faire toute seule par sa seule industrie. Comme souvent à l'époque, le cinéma fait l'impasse du postulat. On annonce la prise d'habit des deux nouvelles dans les quinze jours qui suivent leur entrée, alors que dans les faits il fallait compter six mois. Le plus cocasse est l'habillage de la novice dans sa cellule. On ignore la cérémonie de la vêture, Anne-Marie revêt l'habit religieux comme elle aurait revêtu une nouvelle toilette, sans cérémonie, sans dévotion, avec une légèreté empreinte de frivolité. L'autre novice accourt dans un couloir avec le bandeau qu'elle ne sait comment nouer. On se demande ce qui a bien pu passer par la tête du cinéaste pour avoir tourner une scène aussi incohérente. Quand une postulante prend l'habit, il y a toujours une ou deux sœurs de communauté pour l'habiller. Et ça ne se passe pas dans sa cellule ou dans un couloir, mais dans un endroit proche du chœur des religieuses.

     

     

    La vie dans ce genre de couvent n'avait rien de léger et, dans la réalité, une Anne-Marie aurait bien vite été remise à sa place. Il est tout à fait impensable qu'une novice obtînt à l'époque de suivre la prieure en prison à cause de l'une de ses inspirations. On mettait l'obéissance au-dessus de tout et on aurait objecté que le sacrifice de la volonté propre était plus propice à susciter des conversions que des efforts personnels. Les pénitences étaient appliquées dès le début pour briser cette volonté (c'est bien le vocabulaire qu'on employait à cette époque). Comme dans beaucoup de film de ce genre, on ignore qu'une vie contemplative s'accompagne de l'obligation du silence. On voit les novices et les sœurs parler entre elles dans des endroits les plus incongrus comme les couloirs et les cloîtres. 

     

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    Faut-il aussi préciser que jamais au grand jamais on ne confie le soin de former une novice à une autre novice, surtout si cette dernière montre si peu d'humilité ? Donc, Thérèse confiée à Anne-Marie qui l'exhibe partout dans le couvent, c'est mignon dans un film, mais c'est aussi probable qu'un cheval vert à six pattes.  Il est tout aussi improbable qu'une novice assiste aux coulpes d'une professe, et bien davantage qu'elle en accuse une autre, sa propre maîtresse des novices qui plus est, durant le chapitre. Les novices proclamaient, les premières, leurs fautes puis sortaient du chapitre. Si le respect de la hiérarchie était très bien implantée dans la culture du début du XXe siècle, il l'était bien davantage dans les milieux religieux et monastiques.

     

    Anne-Marie refusant de faire une pénitence que, dans la vraie vie, on lui aurait imposé beaucoup plutôt pour bien moins que ça, est renvoyée du couvent. Elle ne retourne pas pour autant dans sa famille ou parmi ses proches mais elle se cache dans une grange. Elle revient chaque nuit prier sur la tombe du père fondateur. Ceci est inspiré d'une anecdote que l'on retrouve dans le livre cité plus haut. Une candidate que l'on avait renvoyé revenait régulièrement prier sur la tombe du fondateur. Quand les sœurs s'en furent aperçues, elles la reprirent parmi elles et elle persévéra. L’histoire dans le film prend un tour plus dramatique.  Anne-Marie reste près de la tombe malgré la pluie et on l'a retrouve sans connaissance à cet endroit, le lendemain matin. C'est très romantique, mais peu réaliste. Comme dans tous les récits de ce genre, l'héroïne contracte une maladie mortelle et s'en va finir ses jours là où elle aurait voulu en passer de nombreux.

     

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    Est-il vraiment utile de préciser que les religieuses ne se couchent pas toute habillée dans leur lit, même et surtout, si elles sont malades ou mourantes ? Le réalisateur a trouvé plus esthétique de montrer une sœur Anne-Marie en habit sur son lit à l'article de la mort. Notre mourante va tout de même se payer un petit sprint aux trousses de la brebis perdue, sans que personne ne la retienne. Et la brebis perdue va se convertir après que la petite nonne au complexe de chien du Saint-Bernard se soit écroulée. Pour la profession in articulo mortis on la force à se redresser et si elle n'a pas assez de force pour prononcer la formule, elle en a assez pour dire qu'elle ne peut pas parler. Il faut dire que "faux raccords" n'avait pas encore été inventé à l'époque.

     

    Que reste-t-il du film une fois que l'on a sauté à pieds joints au-dessus de ces invraisemblances ? Le texte des dialogues a été, plus d'une fois, repris par le théâtre. Dépouillé de la diction emphatique de l'époque, des habits mêmes et des décors, il retrouve un second souffle. Il faut en effet faire abstraction du contexte dans lequel l'avait enchâssé le réalisateur pour en retrouver la symbolique. Anne-Marie incarne le charisme face aux institutions qui, si elles ne sont pas mauvaises (concrètement on ne peut rien reprocher à la sévère Mère Saint-Jean) en arrivent parfois à lui couper les ailes. Mais l'élan généreux dans la quête du salut de la plus réprouvée des âmes se trouve tout de même vicié à la base par la valorisation qu'on y éprouve secrètement. Il doit se butter aux épreuves et aux contradictions pour être purifié.

     

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    Réadmise au couvent, au seuil de la mort, Anne-Marie frise la folie, mais, paradoxalement, son délire la mène à la lucidité, quant à ses motivations, ses erreurs et les dessins inavouables de Thérèse. C'est alors qu'elle divague qu'elle voit clair sur son orgueil naïf et ce qu'elle n'a pas pu donner à la criminelle. Celle-ci, mise à nu, la fuit mais revient sur ses pas quand Anne-Marie s'effondre. Anne-Marie sauve autant Thérèse qu'elle n'est sauvée par elle. Thérèse, aigrie par la haine, est le feu du creuset où l'or va se purifier.  Tous les faux-semblants s'effondrent face à la mort.  La criminelle comprend qu'on ne peut bâtir sa vie sur un mensonge et elle accepte enfin de faire face à ses actes. En prononçant les vœux à la place d'Anne-Marie, elle s'engage dans la voix de l'expiation et de la rédemption. Débarrassée des scories qui gênait sa mission salvatrice et celle-ci une fois accomplie, Anne-Marie peut s'en aller, libre de toute attache vers le Dieu qui l'appelle.

     

    Crédits photos : Les Anges du péché, L.Bresson, captures d'écran.


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