-
Restauration indigeste
Non, je ne vous parlerai pas de cuisine
Le mouvement de restauration, dans la vie religieuse, consiste à en revenir aux bonnes vieilles recettes d'autrefois qui ont, soi-disant, fait leur preuve. Le premier mouvement de restauration né au XIXe siècle.
Après la révolution française, la vie religieuse est réduite, non pas à néant, mais à bien peu de choses. Certains monastères sont parvenus, çà et là, à survivre. Au début du XIXe siècle, des congrégations enseignantes, hospitalières ou missionnaires voient le jour. Les monastères survivants en fondent d'autres.
L'idée que la vie religieuse a été anéantie parce que trop relâchée, peu fidèle à l'esprit des fondateurs, est assez répandue à l'époque. On veut retrouver la ferveur des débuts et on se réfère à un moyen-âge mythique.
Les nouveaux monastères fondés, à cette période, adoptent, le plus souvent, le style néo-gothique. Les congrégations apostoliques adoptent le modèle monastique. Vous vous souvenez du film The Nun's Story (Au risque de se perdre) ? On y voit comment des religieuses hospitalières sont astreintes à des contraintes propres à la vie monastique et peu adaptées aux réalités de leur vie. Par exemple, le grand silence qui les empêche de parler à leurs malades après la fin de Complies, le dernier office de la journée.
D'autres exemples ? Le chapitre des coulpes où l'on vient s'accuser de ses fautes extérieures, comme d'avoir parler sans nécessité, et où l'on se fait reprendre par les autres, sans avoir la permission de se disculper. L'exercice aurait pour vertu d'inculquer l'humilité. L'expérience a montré qu'il a plutôt engendré plus de scrupuleux, d'aigris ou de revanchards que de saints.
Il y a aussi les pénitences au réfectoire, comme mendier sa soupe, baiser les pieds des soeurs, se prosterner face contre terre, etc. Elles pouvaient être imposées comme pénitence à certains manquements. Mais certaines nonnes ou certains moines les effectuaient par choix et en tenaient un compte précis. Une façon d'être très satisfait de soi, sous couvert de vertu.
Et terminons par les pénitences corporelles: jeûnes, port de chaînes (à crochets), de cilice (laine de chèvre irritante) et la fameuse discipline: un martinet de cordelettes à noeuds, que l'on s'administre à soi-même, le vendredi soir, en récitant des psaumes.
Un autre usage en vogue est de recevoir des postulants et des novices fort jeunes. Il n'est pas rare, au XIXe siècle, d'accueillir des candidats d'à peine quinze ans. Et de telles pratiques peuvent encore s'observer dans la première moitié du XXe siècle. Certaines jeunes filles passent tout simplement du pensionnat au noviciat. On essaie d'attirer les jeunes filles pieuses, alors qu'elles sont encore enfants, à la vie religieuse.
Certains instituts essaient d'innover dans la première moitié du XXe siècle, mais ils sont peu nombreux. Après la seconde guerre mondiale, les vocations commencent à se raréfier. En fait, il ne s'agit qu'un retour à la normale. Le nombre de religieuses a littéralement explosé au cours du XIXe siècle. Elles n'ont jamais été aussi nombreuses au cours des siècles précédents.
Le concile Vatican II sonne l'heure de l'aggiornamento, la mise à jour, et celle-ci ne concerne pas que les habits religieux. Les ordres religieux dépoussièrent leurs constitutions, reviennent à une plus grande simplicité de vie et laissent tomber ou simplifient, pour la plupart, les vieux usages et les cérémonies. Les années soixante et septante voient également une grande hémorragie d'effectifs dans le rang des religieux, comme chez les prêtres séculiers. Beaucoup réalisent que leur engagement n'était pas totalement libre, qu'ils avaient été conditionnés par leur éducation, leur milieu ou qu'ils avaient été influencés.
Parallèlement d'autres mouvements voient le jour. Il y a ceux qui regrettent les fastes du passé, regardent les changements liturgiques comme une erreur, un errement, une trahison. Il y a ceux qui ne trouvent pas leur compte de spiritualité dans la nouvelle mouvance qui met l'accent sur l'attention porté au plus faible, au plus pauvre, au plus démuni. Ils pensent que leur religion se trouve réduite à de la simple entraide envers leurs semblables. Il y a ceux qui restent attachés au dolorisme et aux dévotions secondaires.
A côté des conservateurs et des déçus de Vatican II, on voit émerger, sur le continent européen, le renouveau charismatique, hérité du pentecôtisme américain. Ce courant met l'accent sur l'Esprit Saint, ses dons ou manifestations supposées tels, parfois impressionnantes comme des guérisons, les chants dans une langue inconnue et sans signification particulière, mais pas seulement ça. Il y a aussi la fidélité au magistère, l'obéissance au Saint-Siège et une certaine vénération de la figure papale. La piété y tend parfois au fidéisme et peut verser dans un certain sentimentalisme.
On voit surgir, dans les années quatre-vingts, de nouvelles familles religieuses, souvent issues de ces mouvements parallèles ou réactionnaires, quand ce n'est pas les deux à la fois. Ces nouveaux instituts peuvent parfois innover en optant pour une certaine mixité, mêler laïcs et consacrés, ou vie active et contemplative, etc. D'autres sont tout à fait classiques et rappellent les congrégations d'un autre siècles.
Ainsi, il y a une trentaine d'années, un prêtre s'étonnait de voir, parmi les novices d'une de ces nouvelles congrégations, des jeunes à peine sortis de l'adolescence. Il regrettait que les fondateurs et responsables ne prennent pas compte des leçons du passé. Un clerc régulier, visiteur de communauté, désapprouvait qu'on ait rétabli dans certaines communautés nouvelles de vieux usages, abolis ailleurs, tels que les coulpes au réfectoire et les pénitences d'autrefois.
Bien longtemps après avoir été confrontée à ces témoignages, j'apprends que les communautés mises en cause pour ces pratiques, sont dans le collimateur d'organismes de surveillance des sectes. Des jeunes qu'on attire sans leur laisser le temps de mûrir ou de faire leurs preuves, doivent assumer trop tôt des responsabilités, parce que l'institut est en pleine expansion et cela ne va pas sans dérapage. On pointe du doigt une absence de discernement véritable quant aux candidats, une mauvaise hygiène de vie, des santés malmenées, des maladies graves détectées trop tard pour être soignées, etc. Dans des cas extrêmes, on assiste à des abus d'autorité, des violences psychologiques et parfois physiques. Les autorités ecclésiastiques catholiques romaines doivent parfois intervenir, mettre certains de ces instituts sous surveillance, en dissoudre certains, parfois après avoir fait passé le fondateur devant un tribunal ecclésiastique.
On peut trouver chez les adhérents de ces nouveaux mouvements, l'idée que l'hémorragie d'effectifs dans la vie religieuse actuelle est due au relâchement, à la perte de sens ou de signes, et que les vieilles recettes ont fait leur preuve.
En effet, les vieilles recettes ont fait leur preuve: de la vaisselle humaine brisée. Non, on n'est pas meilleur religieux parce qu'on porte un habit ostentatoire, parce qu'on jeûne, parce qu'on bat sa coulpe publiquement, parce qu'on pense qu'on doit tout endurer en silence et qu'on néglige sa santé en évitant le médecin.
Entretenir le sentiment qu'on accomplit la volonté divine en s'auto-détruisant, en s'imposant des pénitences codifiées, en se dispersant dans des manifestations de piété d'un autre âge ne remplira pas les églises. Et ne pas tenir compte des leçons du passé qu'on retirées d'autres instituts qui existaient bien avant soi, n'est certainement pas une preuve d'humilité.
Crédit photos: tombeau de Catherine de Lamboy, Paul Hermans, wikimedia; abbaye de Maredsous, Julien Willem, wikimedia; The nun's story, WB; nun dolls, http://www.nunsandsuch.com ; concile Vatican II et messe tridentine, domaine public; renouveau charistmatique, Alan347 wikimedia; clipart office.
-
Commentaires