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Chronique de dérives en cascade — 7
Comme toujours, l'histoire que vous allez lire est vraie, seuls les noms ont été changés pour préserver la réputation des innocents.
Pour ne pas jeter le discrédit sur un ordre religieux qui a souffert et souffre toujours de la situation, nous l’appellerons ordre de St Ores, un saint qui n'existe pas.
Épisodes précédents : Sr Fausta, soeur orésienne depuis près de vingt ans a semé le trouble dans plusieurs couvents de Flandres et s'est fait renvoyer d'un autre en Terre Sainte. Elle échoue dans une communauté près de sa fin, joue de son charme et en devient la supérieure. Elle accueille ses premières novices et impose au couvent un mode de vie déséquilibré. Une relation trouble la lie à l'une d'elle , Alexandra, à qui elle confie prématurément, pas mal de responsabilités. Des novices et une soeur conventuelle préfèrent quitter le monastère et les premières plaintes parviennent aux oreilles des responsables ecclésiastiques.Pourtant deux jeunes filles s'apprêtent innocemment à entrer dans ce couvent.
Marie-Noëlle commence son postulat à St Hilaire, un postulat qu'elle doit bientôt interrompre, car elle n'est pas majeure et sa mère, épuisée, la réclame à la maison. Martine continue à fréquenter régulièrement la communauté. Elle s'y rend pour passer quelques jours de récollection, à l'hôtellerie. Elle se lie d'amitié avec Marie-Noëlle, mais elle se pose également des questions sur la vocation de sa future consoeur. Marie-Noëlle lui semble si jeune, fantasque, peu mûre. Elle a l'impression qu'elle joue par moment à la future religieuse pour passer brusquement au moment d'après à une totale désinvolture.
Mais Mère Fausta assure que Marie-Noëlle est mûre et réfléchie, alors Martine pense que le jugement de la supérieure prévaut sur le sien. Martine va persister longtemps, des années durant, dans cette attitude de nier les évidences, elle va refouler ce qu'elle pressent, hypnotisée par le charme de la supérieure. Pourtant d'autres incidents s'accumulent, sur lesquelles la jeune fille ne veut pas s'arrêter. Elle annonce sa venue pour une visite, une semaine à l'avance.Mère Fausta postpose l'entrevue d'heure en heure et laisse la jeune fille à la chapelle sans la recevoir.
Quand Martine vient pour quelques jours de recueillement, Mère Fausta lui propose de loger dans un ermitage, parce qu'il y aura du monde à l'hôtellerie à cause d'un jubilé. Mais une fois sur place, la jeune fille se retrouve logée dans une mansarde sans eau courante. Par contre on la met à contribution pour aider aux cuisines et servir les invités. La supérieure lui réserve une place au choeur, avec les soeurs, ce qui la valorise, et surtout, ce qui donne une image de communauté pleine d'avenir aux visiteurs. Lors de la répétition pour la procession, Martine est frappée par le ton dur et le manque de patience de Mère Fausta envers les soeurs âgées.
Marie-Noëlle commence pour de bon son cursus de formation. Et elle aussi finit par se frotter au caractère d'Alexandra. Soeur Pauline va bientôt prononcer ses voeux définitifs. Martine tient à être présente ce jour-là. Elle trouve normale de rendre service comme Mère Fausta trouve normal d'abuser de sa bonne volonté.
La veille, la journée commence fort tôt, les jeunes soeurs travaillent à la boulangerie pour cuire le pain qui servira également le lendemain. Le travail s'interrompt le temps de la messe, mais quand elle revient à la boulangerie, sent que l'ambiance a changé. Elle entend des éclats de voix qui se taisent aussitôt qu'elle pousse la porte de l'atelier. Soeur Alexandra est murée dans un mutisme obstiné, Marie-Noëlle affiche une bonne humeur qui sonne faux et Mère Fausta marmonne des patenôtres quand le four à pain fait des siennes. Le travail se poursuit dans une ambiance plombée ce qui le rend d'autant plus lourd.
Il est 15h00 quand on envoie Martine manger à l'hôtellerie. Elle a dû travailler le ventre vide jusque là. Malgré toute sa bonne volonté, elle s'étonne en elle-même qu'on puisse ainsi en disposer d'une candidate qui n'a même pas encore commencé sa formation. Mais elle a la générosité des débutants et elle ne veut pas s'y arrêter, même si elle se dit qu'une autre qu'elle-même pourrait mal le prendre.
Une fois revenue pour ranger la boulangerie, Martine trouve un verre cassé à terre. Mère Fausta prétend qu'elle l'a brisé accidentellement. Martine fait diplomatiquement semblant de la croire. Elle sait très bien qu'il s'agit d'un coup de colère de Sr Alexandra. Elle prie avec la ferveur naïve de son âge pour la novice, car elle est fort choquée par les refus répétés qu'elle a opposés à Mère Fausta. Martine estime au plus haut point la vertu de l'obéissance, au point de penser que l'entêtement de Sr Alexandra pourrait lui valoir son renvoi. Elle se fait bien des illusions à ce sujet.
Enfin, après les vêpres, Mère Fausta finit par prendre Martine à part pour lui raconter que Sr Alexandra s'était disputée avec Marie-Noëlle mais qu'elles viennent de se réconcilier. Ce n'est pas une surprise pour la jeune fille qui l'avait bien deviné, mais qui trouve étrange cette manière de gérer ce genre d'incident : laisser une personne encore étrangère à la communauté macérer plusieurs heures dans une telle ambiance de conflit larvé.
La journée est loin d'être finie. Il est bien difficile de dormir pour une novice la veille de sa profession, alors soeur Pauline passera la nuit en prière, et les soeurs les plus jeunes l'accompagneront. Martine a assez de ferveur pour relever le défi et Mère Fausta assez de folie pour la laisser faire. La journée n'a sans doute pas été assez éprouvante. Martine tient le coup jusqu'à cinq heures du matin. Puis elle se retire pour prendre un peu de repos dans la cuisine de l'hôtellerie. Elle sommeille une heure la tête entre les bras, couchée sur la table.
Martine se réveille pour les laudes et une longue journée. Il faut chanter lors de la messe, servir l'apéritif aux invités, aider à la vaisselle. Elle refoule le sentiment qu'on se sert d'elle. Elle veut se donner à Dieu et avec Dieu on ne compte pas.Marie-Noëlle prend l'habit quelques mois plus tard et Martine commence son postulat alors que Sr Alexandra va prononcer ses voeux perpétuels.
***
Mon récit est loin, très loin d'être terminé.
Mais avant d'en écrire le dernier épisode, je voudrais vous dire que les faits que je relate et qui se passent, dans cet épisode, au cours des années quatre-vingt, se perpétuent de nos jours, dans un autre lieu, autour de la même Mère Fausta.
Episode 1 , épisode 2 , épisode 3 , épisode 4 , épisode 5, épisode 6, épisode 7
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