• 23/12/2013

     

    Plusieurs articles sur la toile ont fait, il y a peu, état de dissensions dans un institut assez récent : les soeurs contemplatives de St Jean. Au cours des années septante, un petit groupe d'étudiants se regroupent autour d'un dominicain, le père Marie-Dominique Philippe, pour lui demander d'être leur accompagnateur spirituel et de les former à la vie religieuse. Plutôt que de les orienter vers des formes de vie religieuses déjà existantes, parce que les premiers concernés ne s'y sentent pas appelés, le dominicain se trouve amené, un peu malgré lui, dit-il, à fonder une nouvelle congrégation, la communauté St Jean.

     

    A l'heure de l'aggiornamento, la congrégation se distingue par son retour aux "vieilles recettes" : port de l'habit, candidats très jeunes, sermons sur l'enfer, etc. Cela fait parfois froncer les sourcils des vieux de la vieille, d'autres ordres et congrégations. Certains scandales vont par la suite, secouer cette nouvelle famille religieuse, mais je ne vais pas m'y attarder.

     

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    Au début des années quatre-vingts, on voit surgir une branche féminine apostolique, qui adopte également  un habit d'un autre âge, puis c'est au tour d'une branche contemplative féminine de voir le jour. Chez les sœurs également, des rumeurs de dysfonctionnements voient le jour et finissent par trouver un écho dans la presse et les mouvements anti-sectes. On parle de négligence en ce qui concerne les santés des sœurs, d'un attachement trop grand au fondateur ou aux fondatrices et de manipulation des consciences.

     

    Le fait est que le vieux dominicain, qui est resté dans son ordre, a du mal à passer le relais. Il faudra que Rome intervienne pour que le nonagénaire laisse le gouvernement de la congrégation au premier prieur général élu. Pour en revenir aux sœurs contemplatives, les choses prennent de telles proportions que l'autorité ecclésiastique décide d'intervenir. 

     

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    Je cite ici wikipedia :

     

    "Sœur Alix, fondatrice et prieure générale depuis 1982, est limogée en juin 2009 par décret du cardinal Philippe Barbarin pris en accord avec le Vatican et remplacée par une autre sœur. Cette décision choque alors de nombreuses sœurs, mais aussi des frères de la communauté estimant que sœur Alix était une supérieure hors pair. La nouvelle prieure générale, sœur Johanna, rencontre alors de grandes difficultés à faire accepter sa nomination. En novembre 2009, le Vatican nomme un premier commissaire pontifical auprès de l'Institut des sœurs contemplatives de Saint-Jean, Monseigneur  Bonfils, lequel démissionne, ne sachant pas comment résoudre ce conflit. Le 11 mars 2011, la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée le remplace par Monseigneur  Brincard, évêque du Puy, lequel est nommé assistant religieux pour les frères de Saint-Jean et les sœurs apostoliques de Saint-Jean et commissaire pontifical pour l'Institut des sœurs contemplatives de Saint-Jean.

     

     

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    Benoît XVI renforce encore l’autorité de Monseigneur Brincard auprès des sœurs contemplatives de Saint-Jean en le faisant nommer le 25 février 2012 par décret de son secrétaire d’État, Monseigneur Bertone, comme son « délégué pontifical », c'est-à-dire qu'il est chargé de gouverner l'Institut des sœurs contemplatives en son nom.

    Après une première tentative en 2010 au Mexique, une centaine de novices et de professes simples fondent une nouvelle association publique de fidèles, dénommée « Sœurs de Saint-Jean et Saint-Dominique », le 29 juin 2012 à Cordoue. Des professes perpétuelles, qui voulaient faire de même, mais qui étaient liées par leurs vœux, n’ont pas eu l’autorisation d’aller fonder ailleurs. Le cardinal Bertone dissout cette association « dissidente » par rescrit le 10 janvier 2013. Les recours présentés par des sœurs contre les décisions de Monseigneur Brincard en février 2012 sont également rejetés le même jour pour manque de fondement juridique."

    Source

    Le journal La Croix fait état d'une véritable désertion des effectifs. Vous verrez, sur la toile, des personnes prendre la défense de la fondatrice et d'autres justifier les mesure prises contre elle. Une chose doit être claire : personne ne sait ce qui se passe derrière les murs d'un couvent si ce n'est ceux qui y vivent. Côtoyer une communauté, aller y voir un membre de sa famille n'est pas une raison suffisante pour pouvoir démêler le vrai du faux. Là où une communauté connaît des dysfonctionnements, elle s'arrange très bien pour que ça ne rien laisser paraître et elle sait comment donner le change face aux personnes de l'extérieur.

     

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    Mais les faits énoncés plus hauts parlent d'eux-mêmes. Quand une supérieure est déposée, cela peut arriver, son rôle est de rentrer dans le rang et d'épauler celle qu'on a nommée à sa place, en encourageant celles qui hésiteraient, à obéir à la nouvelle supérieure, même si elle pense que celle-ci n'est pas la bonne personne. Il en est de même pour les maîtresses des novices. On entre dans une famille religieuse pour suivre le Christ, pas un être humain et le supérieur hiérarchique sur terre, de n'importe quel nonne, c'est le pape. Le fait que les candidates aient identifié le charisme de leur institut à une personne, qu'une dissidence ait émergé au point de vouloir contourner artificiellement les décisions romaines signe tout simplement la réalité des dysfonctionnements.

     

    Le journal La Croix nous informe qu'on a élargi la formation en l'ouvrant à d'autres enseignements que celui des fondateurs, quoi d'étonnant à cela ? Il en va ainsi partout ailleurs. Les bénédictins lisent autre chose que la règle de St Benoît, les cisterciens n'avalent pas que du Bernard de Clairvaux et les carmélites ne se limitent pas à Thérèse d'Avila. En quoi cela toucherait-il au charisme de l'institut ?

     


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    En surfant sur la toile, je suis tombé sur un "témoignage" intitulé comme plus haut. Les sites qui le publient sont pour la plupart dans la mouvance protestante-évangélique. Le vocabulaire est assez typique, on y parle par exemple d''évangile intégral", ce qui ressemble à une mauvaise traduction de "plein évangile".

     

    Certaines de ces Eglises confessantes — je dis bien "certaines", je ne fais pas d'amalgames— se montrent parfois très acides vis à vis de l'Eglise qui tient le haut du pavé dans nos contrées et sont promptes à mettre en épingles ses "erreurs" ou ses dérives.

    Le témoignage que l'on nous présente comme celle d'une ancienne carmélite est remplie d'erreurs évidentes ou d'à peu-près qui font soupçonner un profond remaniement d'un témoignage de départ.

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    J’avais 23 ans et je fus reçue au Carmel de Beaune en Côte d’Or. Pendant la première année sur les deux que j’y passais

    Je crus posséder cette paix à laquelle j’aspirais, mais elle fut de courte durée…

     

    Je relève ici le saut à la ligne et la majuscule. Cette erreur de typographie qui donne à penser que le témoignage n'est pas de première main. Au passage que la communauté citée a été dissoute en 2001

    Puis ce fut la « prise d’habit », cérémonie très émouvante où je fus habillée en blanc, en épouse de Christ, mais hélas dans l’erreur. 

    L'usage de s'habiller en blanc pour une prise d'habit a été abandonné dans nos contrées dans les années 70-80, où la cérémonie est devenue très discrète, sauf dans les milieux conservateurs.

     

     

    Au Carmel, on est à l’essai pendant deux ans, pour voir si l’on supporte une règle si dure.

    La suite du récit laisse à penser que l'expérience a été vécue avant les réformes conciliaires. Or à l'époque, on faisait six mois de postulat, un an de noviciat et trois ans de vœux temporaires. La règle du Carmel, en soi, n'est pas si dure, ce sont les usages qui rendaient la vie assez austère et ceux-ci se sont assouplis avec le temps.

     

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    Ce couvent est une véritable prison avec ses barreaux. Nous étions 30 à y vivre.

    Les barreaux et les grilles frappaient, en général davantage les visiteurs que les sœurs elles-mêmes. Les nonnes ne voyaient ces grilles qu'au parloir et qu'au chœur, pendant la messe, soit trois quarts d'heure par jour.

    Le nombre maximum de nonnes pour un Carmel et de vingt et une. On ne le dépasse que lorsqu'on prévoit une fondation.

     

    Nous devions nous soumettre à de nombreuses mortifications: les religieuses sont invitées à se frapper dans le dos avec un fouet jusqu’à ce que le sang coule;

    Comme je l'ai expliqué ailleurs, la discipline se donnait durant le temps de certaines prières, et pas sur le dos, sur l'arrière-train. Le but n'était certainement pas de faire couler le sang. Et lorsque cela arrivait, les nonnes étaient obligées de le signaler à leur supérieure qui les dispensait alors de cette pénitence jusqu'à ce que l'écorchure soit cicatrisée. En fait, ce genre d'accident ne se produisait généralement que durant la semaine sainte où les séances de discipline se prolongeaient durant des psaumes supplémentaires.

     

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     certaines religieuses se mettaient un cilice, c’est à dire un cercle de fer garni de pointes à l’intérieur que l’on se met autour de la taille sur la peau et qui meurtrit douloureusement.

    On dirait vraiment une mauvaise traduction de l'anglais. Le cilice n'est pas un cercle de fer, c'est une ceinture de crin. Le cilice de chaîne ou chaîne, comportait des maillons se terminant par des crochets et non de pointes de fer. Une ancienne carmélite ne ferait pas de telles descriptions erronées. De plus, les pénitences des novices n'étaient introduites que progressivement.

     

    La règle était très austère: 40 jours de jeûne par an,

    Le jeûne monastique est une pratique commune à tous les ordres contemplatifs, il est bien mentionné par la règle, mais il est également mentionné par d'autres règles. Il commence le 14 septembre, à la fête de l'exaltation de la sainte croix et se termine le jour de Pâques. La mention de 40 jours ne peut se rapporter qu'au carême, dont le jeûne était imposé à tous les catholiques et pas seulement aux nonnes et aux moines.

    Le jeûne consistait à ne prendre qu'un repas consistant par jour après vêpres et une collation le soir, on ne mangeait rien le matin. Pour rendre ce régime supportable, on avançait l'heure des vêpres en carême où la collation était réduite par rapport à celle prise durant le jeûne monastique. On ne jeûne pas les dimanches et jours de fête, ni avant l'âge de 21 ans. Pendant le carême, les œufs et les laitages étaient proscrits.

     

     

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    obligation d’observer un silence complet (nous avions tout au plus le droit d’échanger quelques mots après le repas de midi),

     

    Les constitutions prévoient deux récréations après les repas de midi et du soir et celles-ci duraient environ une heure. On est loin de "quelques mots".

     

    le lever était fixé à 4 heures du matin,

    Pas du tout. Le lever avait lieu à 4h45 en été, où on pouvait faire une sieste, et à 5h45 en hiver, où on ne faisait pas de sieste. Ce site, consacré à Thérèse de Lisieux, vous donne l'horaire d'une carmélite, avant l'aggiornamento du concile Vatican II.

     

    Heureusement que le ridicule ne tue pas :

    La petite Thérèse de Lisieux, une âme sincère déclarée sainte après sa mort, et dont on a fait une véritable idole, a beaucoup souffert du froid, entrée au couvent du Carmel à l’age de 15 ans, elle est morte à 24 ans, tuberculeuse, des privations et la dureté du régime auquel elle avait été soumise; avant de mourir, elle déclara: « il est faux de tenter DIEU jusque là »; elle passa par les mêmes épreuves de foi que moi, mais parce qu’elle avait prononcé déjà des voeux définitifs, elle n’eut pas la permission de sortir, malgré son désir.

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    Oh, le grand n'importe quoi ! Disons plutôt que Thérèse de Lisieux, admise beaucoup trop jeune au couvent, a cédé à la tentation de la générosité en déclarant, tout de go, qu'elle n'avait besoin de rien, au lieu d'avouer à sa maîtresse des novices combien elle avait froid. Elle n'a pas jeûné avant l'âge de 21 ans. Et elle n'a jamais eu, non plus, l'intention de quitter le couvent, on se demande comment on peut proférer de pareilles inepties. Elle était heureuse de mourir carmélite.

    Quant à avoir la permission de sortir du couvent, d'autres sœurs de sa communauté qui avaient déjà prononcé leurs vœux définitifs ont obtenu leur sécularisation. La fin du XIXe siècle, c'est la république laïque, pas l'Ancien Régime. 

    Au fait, avez-vous relevé la faute de français  "Il est faux de tenter Dieu" ? Thérèse Martin n'est sans doute pas un ponte de la littérature française, mais elle s'exprimait dans un français correct.

     

    Moi non plus, je ne supportais pas ce régime et tombai malade par la grâce de DIEU, le docteur exigea que je sorte du couvent quelques jours avant que je doive prononcer des voeux définitifs.

    Ce qui infirme le fait qu'elle y aurait passé deux ans. Il faut au minimum quatre ans et demi avant de faire sa profession perpétuelle.

     

     

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    Un jour, en me promenant, je suis entrée dans une chapelle où l’on annonçait l’Evangile intégral. 

    Encore un signe de tripatouillage de texte qui sent la mauvaise traduction. On ne prononce pas l'évangile intégral dans une chapelle, mais le plein évangile dans une église ou un temple. Quoi d'étonnant quand les sites proposant ce "témoignage" font références à des pasteurs étasuniens.

     

    Mes conclusions : à la base, un témoignage sincère d'une expérience qui ne s'est peut-être pas passée obligatoirement en France, qui a été, par la suite, grossièrement déformé. Soit il s'agit d'un témoignage américain qui a été maladroitement adapté à la France, soit il a été d'abord traduit en anglais puis mal retraduit en français. Quoiqu'il en soit, une personne peu scrupuleuse en a rajouté de son cru pour des besoins de propagande, ce qui fait perdre à ce "témoignage" pas mal de crédibilité.

     

    Crédits photos : capture d'écran films : Le dialogues des carmélites ; Le miracle ; Le Narcisse Noir.

    Photos libres de droits. Photo-libre.fr


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  • Une série britannique très sympathique passe pour le moment sur nos écrans, Meurtres au paradis (Death in Paradise) où un inspecteur psychorigide, parachuté dans une île des Caraïbes doit résoudre des énigmes policières avec des moyens réduits. Nous retrouvons dans le rôle de Sœur Anne, Gemma Jones, une figure connue du cinéma britannique. Elle a interprété Mrs Dashwood dans Raison et Sentiments et Poppy Pomfresh dans Harry Potter. Cet épisode-ci tient pas mal la route, même si un regard averti relève certaines incohérences. Elles restent minimes par rapport à certaines énormités qu'on peut relever dans d'autres oeuvres du genre.

     

     

     

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    Le dernier épisode Faux semblants (An Unholy Death) mettait en scène le meurtre d'une jeune postulante. On l'appelle Thérèse, les religieuses n'utilisent pas le mot "sœur" pour parler d'elle. Cela est tout à fait normal puisqu'elle est postulante. Une postulante n'est pas encore religieuse à proprement parlé, elle le devient en commençant son noviciat et prend à ce moment un nom religieux, même si elle garde son nom de baptême, on l'appellera "sœur".

    Pourtant, au cours de 'l'épisode, on parlera d'elle comme d'une novice, en maintenant une certaine confusion entre les deux états. Une postulante est prise en charge, la plupart du temps, par la responsable du noviciat, mais elle n'est pas encore novice. Le noviciat débute par la prise d'habit, là où il y en a un. Donc petite erreur : Thérèse ne devrait pas porter l'habit de sa congrégation. Elle peut porter des vêtements spécifiques à son état, mais pas les mêmes que les autres sœurs. La seule différence qu'ont faite les costumiers se situe au niveau du voile. Celui de Thérèse n'a pas de bord blanc.

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    Au passage, l'actrice qui interprète Sœur Marguerite a une légère touche de rouge à lèvres.  S'il est normal que les actrices soient maquillées, pour des raisons techniques, on aurait pu ce maquillage plus discret. Puisqu'on en est au niveau des costumes, la supérieure porte une guimpe alors que les autres sœurs n'en ont pas. Ce détail est tout à fait incohérent. La supérieure d'un couvent ne se distingue pas des autres sœurs au niveau vestimentaire. Elle peut porter une croix abbatiale, si elle est abbesse, mais ça se limite à ça.

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    La postulante meurt, intoxiquée par la fumée d'une cigarette et on apprend qu'elle fume, qu'elle mâche des chewing-gum et qu'elle boit de l'alcool, qu'elle a contracté cette mauvaise habitude à l'orphelinat où elle a été élevée ... Ah ! Ce cher orphelinat ... qui n'existe plus dans nos contrées.  Bon nombre de scénaristes semblent  ignorer que, de nos jours, un enfant sans famille ou enlevé à sa famille est placé en famille d'accueil ou alors en foyers de l'enfance. La pauvre orpheline, éduquée en institution qui ne pourrait pas faire face à la vie et se réfugie dans un couvent ... ça ne tient pas trop la route, au XXIe siècle.

     

    Une postulante qui fume, est-ce plausible ? Au risque d'en choquer certains, je dirais oui. Pas n'importe où, pas dans n'importe quel couvent. Mais que, dans certains instituts on permette à des postulants ou postulantes de ne pas se défaire tout de suite de certaines habitudes, qu'on leur laisse une certaine latitude, sous certaines conditions, c'est plausible. Le chewing-gum est un détail à côté de l'habitude de fumer. Quant à l'alcool, cela pose question.  Mais on ne donne pas de détails qui permettrait de relativiser. Évidemment, boire seule, hors de question. Mais se permettre un petit verre dans certaines occasions, cela peut se faire. Les religieuses ne se vouent pas à l'abstinence totale de boisson alcoolisée.

     

    Une autre incohérence fréquemment relevée dans les scénarii du genre, c'est que le Père John serait habilité à laisser cette latitude à la jeune personne. La formation des candidates ne relève pas de la compétence du chapelain ou de l'aumônier. Son rôle est de dire la messe, éventuellement de confesser, mais certainement pas de donner des permissions aux postulantes et aux novices. Cela revient à la maîtresse des novices.

     

    Contrairement à ce qu'affirme le Père John, dans cette série, une postulante ne renonce pas à tous ses biens, ni à tout contact avec l'extérieur. Le renoncement aux biens ne se fait qu'à la profession. L'entrée au postulat, ou en religion, n'entraîne pas une rupture de contact totale. Si c'était le cas, il faudrait être particulièrement vigilant sur la nature de l'institut.

     

    Penchons-nous sur la source miraculeuse qui n'en est pas une. Des sœurs ou des ecclésiastiques peuvent-ils en arriver à mentir pour faire croire qu'une source est miraculeuse ? Les religieux et les ecclésiastiques sont des gens comme les autres, ni plus saints, ni plus pervers que le reste des individus qui habitent le vaste monde. On y rencontre aussi des personnes enclines à l'exagération et même des personnes qui n'ont pas de scrupules à "arranger" la vérité. Restons lucides.

     

    Des difficultés financières peuvent-elles amener à fermer un couvent ? Oui, s'il ne s'agit pas de simples difficultés mais d'une catastrophe financière. Mais ce n'est pas la raison la plus courante pour fermer une communauté. Dans une congrégation, la solidarité joue entre les différentes implantations, puisqu'il y a un organe central pour redistribuer les rentrées financières. On peut aussi fermer une maison où il y a de grosses rentrées financières parce que la communauté devient trop âgée et ne parvient plus à gérer un flux de pèlerins, ça s'est déjà vu.

     

    Le cas du Père John ne tient pas debout, est-il religieux ou séculier ? Pourquoi l'aurait-on éloigné d'un amour de jeunesse, s'il n'était pas encore clerc à l'époque. S'il est religieux, le diocèse n'a pas à l'envoyer à l'autre bout du monde et s'il est séculier ... non plus, puisqu'un évêque ne peut pas envoyer un prêtre de son diocèse dans un autre, comme ça lui chante.  Si le Père John est séculier, il n'a pas non plus à changer de nom.

     

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    Attention spoilers, si vous n'avez pas vu l'épisode, ça va vous dévoiler une partie de l'intrigue !Rigolant

    Une nonne qui commet un meurtre, c'est possible ? Eh bien oui. Ce n'est pas courant, c'est vraiment exceptionnel, mais même à notre époque, ça peut arriver.  Dans les années septante, une religieuse flamande, Sr Godfrieda (C.Bombeek) a escroqué, maltraité et euthanasié des personnes âgées. Elle a été ensuite internée pour démence. Dans les années 2000, en Amérique latine, une maîtresse des novices a empoisonné une religieuse dont elle était jalouse.

     

    Cet épisode se rencontre sans ennui, et les erreurs concernant la vie religieuse qu'on peut y rencontrer sont minimes. L'intrigue peut tenir la route et l'atmosphère conventuelle est pas mal rendue.

     

    Crédits photos : BBC.co.uk

     

     


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  • Comme toujours, l'histoire que vous allez lire est vraie, seuls les noms ont été changés pour préserver la réputation des innocents.

     

    Pour ne pas jeter le discrédit sur un ordre religieux qui a souffert et souffre toujours de la situation, nous l’appellerons ordre de St Ores, un saint qui n'existe pas.

     

    Épisodes précédents : Sr Fausta, soeur orésienne depuis près de vingt ans a semé le trouble dans plusieurs couvents de Flandres et s'est fait renvoyer d'un autre en Terre Sainte. Elle échoue dans une communauté près de sa fin, joue de son charme et en devient  la supérieure. Elle accueille ses premières novices et impose au couvent un mode de vie déséquilibré. Une relation trouble la lie à l'une d'elle , Alexandra, à qui elle confie prématurément, pas mal de responsabilités. Des novices et une soeur conventuelle préfèrent quitter le monastère et les premières plaintes parviennent aux oreilles des responsables ecclésiastiques.Pourtant deux jeunes filles s'apprêtent innocemment à entrer dans ce couvent.

     

    Marie-Noëlle commence son postulat à St Hilaire, un postulat qu'elle doit bientôt interrompre, car elle n'est pas majeure et sa mère, épuisée, la réclame à la maison. Martine continue à fréquenter régulièrement la communauté. Elle s'y rend pour passer quelques jours de récollection, à l'hôtellerie. Elle se lie d'amitié avec Marie-Noëlle, mais elle se pose également des questions sur la vocation de sa future consoeur. Marie-Noëlle lui semble si jeune, fantasque, peu mûre. Elle a l'impression qu'elle joue par moment à la future religieuse pour passer brusquement au moment d'après à une totale désinvolture.

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    Mais Mère Fausta assure que Marie-Noëlle est mûre et réfléchie, alors Martine pense que le jugement de la supérieure prévaut sur le sien. Martine va persister longtemps, des années durant, dans cette attitude de nier les évidences, elle va refouler ce qu'elle pressent, hypnotisée par le charme de la supérieure. Pourtant d'autres incidents s'accumulent, sur lesquelles la jeune fille ne veut pas s'arrêter.  Elle annonce sa venue pour une visite, une semaine à l'avance.Mère Fausta postpose l'entrevue d'heure en heure et laisse la jeune fille à la chapelle sans la recevoir.

    Quand Martine vient pour quelques jours de recueillement, Mère Fausta lui propose de loger dans un ermitage, parce qu'il y aura du monde à l'hôtellerie à cause d'un jubilé. Mais une fois sur place, la jeune fille se retrouve logée dans une mansarde sans eau courante. Par contre on la met à contribution pour aider aux cuisines et servir les invités. La supérieure lui réserve une place au choeur, avec les soeurs, ce qui la valorise, et surtout, ce qui donne une image de communauté pleine d'avenir aux visiteurs. Lors de la répétition pour la procession, Martine est frappée par le ton dur et le manque de patience de Mère Fausta envers les soeurs âgées.

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    Marie-Noëlle commence pour de bon son cursus de formation. Et elle aussi finit par se frotter au caractère d'Alexandra. Soeur Pauline va bientôt prononcer ses voeux définitifs. Martine tient à être présente ce jour-là. Elle trouve normale de rendre service comme Mère Fausta trouve normal d'abuser de sa bonne volonté.

     

    La veille, la journée commence fort tôt,  les jeunes soeurs travaillent à la boulangerie pour cuire le pain qui servira également le lendemain. Le travail s'interrompt le temps de la messe, mais quand elle revient à la boulangerie, sent que l'ambiance a changé. Elle entend des éclats de voix qui se taisent aussitôt qu'elle pousse la porte de l'atelier. Soeur Alexandra est murée dans un mutisme obstiné, Marie-Noëlle affiche une bonne humeur qui sonne faux et Mère Fausta marmonne des patenôtres  quand le four à pain fait des siennes. Le travail se poursuit dans une ambiance plombée ce qui le rend d'autant plus lourd.

     

    Il est 15h00 quand on envoie Martine manger à l'hôtellerie. Elle a dû travailler le ventre vide jusque là. Malgré toute sa bonne volonté, elle s'étonne en elle-même qu'on puisse ainsi en disposer d'une candidate qui n'a même pas encore commencé sa formation. Mais elle a la générosité des débutants et elle ne veut pas s'y arrêter, même si elle se dit qu'une autre qu'elle-même pourrait mal le prendre.

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    Une fois revenue pour ranger la boulangerie, Martine trouve un verre cassé à terre. Mère Fausta prétend qu'elle l'a brisé accidentellement. Martine fait diplomatiquement semblant de la croire. Elle sait très bien qu'il s'agit d'un coup de colère de Sr Alexandra. Elle prie avec la ferveur naïve de son âge pour la novice, car elle est fort choquée par les refus répétés qu'elle a opposés à Mère Fausta. Martine estime au plus haut point la vertu de l'obéissance, au point de penser que l'entêtement de Sr Alexandra pourrait lui valoir son renvoi. Elle se fait bien des illusions à ce sujet.

     

    Enfin, après les vêpres, Mère Fausta finit par prendre Martine à part pour lui raconter que Sr Alexandra s'était disputée avec Marie-Noëlle mais qu'elles viennent de se réconcilier. Ce n'est pas une surprise pour la jeune fille qui l'avait bien deviné, mais qui trouve étrange cette manière de gérer ce genre d'incident : laisser une personne encore étrangère à la communauté macérer plusieurs heures dans une telle ambiance de conflit larvé.

     

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    La journée est loin d'être finie. Il est bien difficile de dormir pour une novice la veille de sa profession, alors soeur  Pauline passera la nuit en prière, et les soeurs les plus jeunes l'accompagneront. Martine a assez de ferveur pour relever le défi et Mère Fausta assez de folie pour la laisser faire. La journée n'a sans doute pas été assez éprouvante. Martine tient le coup jusqu'à cinq heures du matin. Puis elle se retire pour prendre un peu de repos dans la cuisine de l'hôtellerie. Elle sommeille une heure la tête entre les bras, couchée sur la table. 

     

    Martine se réveille pour les laudes et une longue journée. Il faut chanter lors de la messe, servir l'apéritif aux invités, aider à la vaisselle. Elle refoule le sentiment qu'on se sert d'elle. Elle veut se donner à Dieu et avec Dieu on ne compte pas.Marie-Noëlle prend l'habit quelques mois plus tard et Martine commence son postulat alors que Sr Alexandra va prononcer ses voeux perpétuels.

     ***

     

    Mon récit est loin, très loin d'être terminé.

    Mais avant d'en écrire le dernier épisode, je voudrais vous dire que les faits que je relate et qui se passent, dans cet épisode, au cours des années quatre-vingt, se perpétuent de nos jours, dans un autre lieu, autour de la même Mère Fausta.

     

    Episode 1 , épisode 2épisode 3épisode 4épisode 5,  épisode 6,  épisode 7

     


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  • 25/03/2013

     

    Eh bien voilà qui est fait : j'ai vu le film de Nicloux en entier et je ne le regrette pas. Cela se laisse regarder avec plaisir. Je ne me suis pas ennuyé. Les comédiennes font honneur à leur rôle. Louise Bourgoin manque un peu de relief dans son interprétation. La diction est parfois négligée, ce qui gâche la perception de certains dialogues. Contrairement à ce que laisse voir la bande annonce , Pauline Etienne est digne et convaincante dans sa quête de liberté. Le film a du rythme et du souffle. 

     

    religieuse de diderot,nicloux

    Ceci dit, le film contient pas mal d'incongruités. Certaines sont dues à la plume de Diderot, d'autres aux raccourcis de Nicloux. En effet, en voulant simplifier la trame, le réalisateur a provoqué certaines incohérences.

     

    Commençons par la première cérémonie. La mère de Moni parle à Suzanne d'accomplir son noviciat en prenant le voile. Or, ce qu'on appelait la prise de voile, alors, n'était pas l'entrée au noviciat, mais la profession. Nicloux fait à ce sujet de grosses confusions.


    Une prise d'habit traditionnel se déroule comme suit : la candidate se présente en habit séculier, parfois festif ou même, les siècles derniers, en robe de mariée. A noter que la robe de mariée, blanche avec son voile, est une invention du XIXe siècle.

    religieuse de diderot,nicloux

    Elle est interrogée sur ses motivations par le prêtre qui préside la cérémonie. Le "dialogue" est issu du cérémonial de l'ordre ou de la congrégation. On y demande expressément si la candidate accomplit la démarche de son plein gré. Ensuite le prêtre bénit l'habit et le remet à la candidate. Celle-ci se retire avec la maîtresse des novices ou une autre sœur dans une pièce adjacente pour revêtir la robe et le voile. Dans certaines branches franciscaines, la candidate est dévêtue au chœur même, entourée de toute la communauté pour revêtir ensuite l'habit.  Si elle l'a quitté, la candidate revient au chœur. Selon l'ordre ou la congrégation, le prêtre peut donner ensuite les autres pièces de l'habit comme la ceinture, le scapulaire, le manteau de chœur quand il y en a un, avec une phrase qui exprime le symbolisme de cet élément. Mais ce n'est pas le cas partout.

    A aucun moment on ne fait mention de vœux. On demande simplement à la candidate ce qu'elle demande, si elle est là de son plein gré, si elle désire persévérer et on l'assure de la prière de la communauté. A la fin de la cérémonie, la novice reçoit son nom de religion. Il suffit de taper "cérémonial de vêture et de profession" dans un moteur de recherche pour trouver facilement de vieux livres numérisés qui vous donneront tous les détails sur la façon dont cela se passait dans telle ou telle congrégation.

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    La cérémonie où Suzanne refuse de prononcer des vœux, alors qu'elle serait censée commencer un noviciat, est donc de la plus haute fantaisie. Une novice ne prononce pas de vœux, cela se fait à la profession. Elle ne vient pas non plus au chœur avec sa robe de religieuse. Celle-ci doit être d'abord bénite, puis reçue et revêtue. La couronne de fleurs se met après la cérémonie, quand la novice porte l'habit de l'ordre.

     

    Dans le roman de Diderot, Suzanne accepte de prendre l'habit à cause des pressions qu'on exerce sur elle. Puis elle se résigne à "faire semblant" jusqu'à sa profession, pour qu'on la laisse tranquille. C'est au moment d'émettre ses vœux qu'elle annonce publiquement qu'elle refuse de faire profession. Rivette fait commencer son film par cet esclandre. Nicloux préfère tout mélanger au détriment de la vraisemblance et de la cohérence. Ne dit-il pas d'ailleurs dans une interview, qu'en matière de vie religieuse il s'est basé sur "l'imaginaire collectif" ? Il est vrai qu'aujourd'hui peu de personnes sont familiarisées avec les cérémonies initiatiques des monastères...

     

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    De même le détail du drap mortuaire. Dans certaines ordres et congrégations, surtout là où on suit la règle de St Augustin, les professes étaient symboliquement recouvertes d'un catafalque après avoir prononcé leurs vœux. Après, pas avant . Le refus de Suzanne fait qu'elle n'aurait jamais dû connaître cette étape.

     

    Toujours dans le roman de Diderot, Suzanne quitte (la Visitation) Sainte-Marie pour la maison familiale où elle reste enfermée dans sa chambre. De guerre lasse, elle cède et accepte de se cloîtrer. Ses parents ont du mal à trouver un endroit où l'on voudrait d'elle après l'esclandre à Sainte-Marie. Elle finit par être acceptée à Longchamp, une abbaye de clarisses, réputée à l'époque du philosophe pour la beauté des offices. 

     

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    Nicloux prend le parti de la faire revenir dans son premier couvent, par la bonté de la mère supérieure. C'est le summum de l'invraisemblance. Jamais on n’accepterait de recevoir à nouveau une novice qui aurait publiquement refusé de prononcer ses vœux ou une postulante qui aurait refusé publiquement de prendre l'habit.  L'avis de la supérieure n'est pas tout puissant. L'admission d'une candidate doit être votée par le chapitre. Un supérieur ecclésiastique aurait pu même éconduire la candidate avant même qu'elle se présente.

     

    On voit, à plusieurs reprises, Suzanne échanger quelques mots avec une autre sœur au réfectoire. Le réfectoire est un lieu "régulier", c'est à dire où tout se déroule selon les règles, on n'y parle pas. Les repas se déroulent en silence ; la seule voix autorisée est celle de la lectrice. Parfois la supérieure peut y faire certaines annonces, en fin de repas,  mais en aucun cas les sœurs ne parlent entre elles. Ou alors c'est que le relâchement du monastère est bien avancé. C'est arrivé dans certains monastères de l'époque, mais ce n'est pas une telle maison où les nonnes font tout et n'importe quoi que nous présente Nicloux.

     

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    Une fois la première supérieure décédée, on voit apparaître la nouvelle sortie de nulle part, au point que Suzanne ne doive poser la question : Qui est-ce ? Étonnant ! Les supérieures viennent rarement d'ailleurs. Elles sont élues par le chapitre du monastère. Pour Diderot, il s'agit bien d'une religieuse de la maison. Pourquoi Nicloux veut-il la faire venir d'un autre couvent ? Mystère et boule de gomme.

     

    Plutôt que de faire demander du papier à sa supérieure, Nicloux envoie sa Suzanne le voler, nuitamment, à l'économat. Le hic, c'est que la nuit, toutes les portes des offices (des lieux de travail) sont fermées à clé. Suzanne était-elle initiée à la serrurerie ou armée d'un rossignol ? Lui avait-on appris à crocheter une serrure ?

     

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    On voit régulièrement Pauline Etienne en cheveux notamment dans les scènes qui se passent la nuit. Cela va à l'encontre des usages. Les nonnes portaient, à cette époque, une coiffe pour dormir, un voile de nuit. De même qu'il était interdit à une femme d'entrer tête nue dans une église, dans un lieu où l'on disait la messe. Il pouvait arriver qu'on retire son voile à une religieuse punie et qu'elle doive se retrouver en guimpe, mais jamais en cheveu. Le fait d'avoir les cheveux courts étaient considéré comme une humiliation, à l'époque. Donc, Suzanne qui se promène dans le château en déshabillé, sans rien sur la tête, c'est très invraisemblable.

     

    Dans la scène de la mise à nu, on voit les habits s'entasser en paquet sur le sol. C'est peut-être très joli pour l'esthétique cinématographique mais dans les faits, l'habit est un élément béni qu'on traite avec respect. Quand on l'enlève on le plie et on le pose sur quelque chose. L'usage faisait qu'on baisait les pièces de l'habit avant de l'enfiler. Une supérieure qui fait distribuer des cilices ne permettrait pas qu'on traite n'importe comment le "saint habit". Pour continuer dans le même registre, Suzanne doit nettoyer le parquet à genoux, sa robe traîne sur le sol. Quand une nonne doit effectuer ce genre de travail, elle trousse son habit, c'est à dire, elle le relève jusqu'à la taille laissant voir la jupe qu'elle porte en dessous.

     

    religieuse de diderot,nicloux

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    Une autre chose m'a mis mal à l'aise, c'est lorsque la supérieure vient rechercher Suzanne dans son cachot parce qu'elle a besoin d'elle pour le concert des "Ténèbres". S'il y a bien un moment dans l'année liturgique où un concert est mal venu, c'est bien la semaine sainte et l'office des Ténèbres.

    Il faut savoir que l'abbaye de Longchamp où Diderot fait rentrer Suzanne pour son second essai n'était pas connu pour sa régularité (fidélité aux règles). Les gens huppés s'y rendaient en masse pour écouter les offices depuis qu'une cantatrice était entrée à l'abbaye. Le monastère n'a pas hésité à faire venir des chanteurs des choeurs de l'opéra pour relever ses offices. En attirant du beau monde, on attirait de généreuses aumônes, mais aussi des personnes galantes qui venaient là pour se montrer. L'affaire finit par faire scandale et l'archevêché de Paris interdit l'accès au chœur des nonnes pour ce fameux office des Ténèbres. Il dut se dire désormais, portes fermées. Dans la mesure où l'on représente une supérieure sévère, portée sur l'ascèse, il était mal venu d'employer le mot "concert" pour l'office des Ténèbres. Par ailleurs, il est difficile d'identifier la musique que les nonnes sont censées interpréter. Il est déjà étonnant d'entendre de la polyphonie dans de telles circonstances, mais je n'ai pu la comparer aux auteurs tels que Charpentier ou Couperin. Pour terminer, la Suzanne de Nicloux chante de la gorge et c'est assez désagréable à entendre. On est loin de la belle voix décrite par Diderot.

     

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    Après l'intronisation de Mère Christine, Suzanne en appelle contre ses vœux. On ne fait pas d'allusion, dans le film, à la mort de son père ni à celle de sa mère. Or il aurait été impensable qu'elle n'entame une telle procédure si ses parents n'étaient pas décédés, puisque c'étaient eux qui l'avaient poussé à se cloîtrer.

    Le dialogue entre Suzanne persécutée par ses sœurs et l'archidiacre a été écourté et cela se fait au détriment du sens. Le prélat demande pourquoi Suzanne n'a pas de crucifix, elle lui répond qu'on le lui a enlevé. Dans le dialogue de Diderot, il lui demande aussi pourquoi elle n'a pas de rosaire ni de bréviaire, ce à quoi elle répond qu'on les lui a ôtés. Nicloux éclipse ces quatre phrases pour en venir directement à la question : comment priez-vous ? On peut très bien prier sans crucifix, cela n'a pas beaucoup de sens. Par contre sans rosaire ni bréviaire, les choses sont plus compliquées. Quoique l'héroïne de Diderot avait trouvé la solution : la prière du cœur.

     

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    L'avocat explique à Suzanne qu'il va en appeler au pape et lui demander son "nihil obstat". Si M. Manouri avait envoyé au pape le réquisitoire que lui fait écrire Diderot, il aurait connu quelques petits soucis avec le "saint office" (l'inquisition). En fait, la démarche pour être relevé de ses vœux se faisait d'abord auprès de l'officialité, c'est à dire les tribunaux ecclésiastiques. Si l'évêque n'accordait pas la dispense, la religieuse, ou le religieux, prenait un avocat et portait l'affaire devant les tribunaux civils, ce qu'on appelait à l'époque "le parlement". Le nihil obstat ne concerne pas les affaires de dispenses des vœux. C'est le terme par lequel les autorités ecclésiastiques approuvaient la publication d'ouvrages à caractère religieux.

     

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    On voit l'avocat accompagner Suzanne jusqu'à son nouveau couvent puis lui serrer la main, ce qui est tout à fait incongru : on ne touche pas une religieuse. A Saint-Eutrope, la nouvelle supérieure déclare à Suzanne : "Votre supérieure était ma petite élève à Port-Royal". Port Royal des Champs était une abbaye cistercienne haut lieu du jansénisme. Elle fut détruite et ses religieuses dispersées en 1710. Elle avait une succursale à Paris, également appelée Port-Royal, qui fut cédée à la même époque et pour les mêmes raisons, à des visitandines. Celles-ci y restèrent jusqu'à la révolution française en se dévouant à l'éducation des petites filles. Le hic c'est que la mère de St Eutrope est une annonciade et non une visitandine. Comment aurait-elle pu avoir comme élève mère Christine qui serait devenue ensuite supérieure d'un couvent d'un ordre inventé par Nicloux? De surcroît, ce genre de détails n'apportent rien.

     

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    Pour en terminer avec les incohérences, il y a la scène de la confession à la chapelle, sans confessionnal, sans grille, sans voile. Le concile de Trente a imposé qu'il y ait une grille entre le prêtre et le pénitent. Pour pallier à l'incommodité des églises, Charles Boromée a imaginé ce petit cagibi qui protégeait le prêtre du froid durant les longues séances de confession : le confessionnal. De plus, un prêtre ne pouvait regarder une femme dans les yeux. En l'absence de grille, la religieuse aurait du avoir un voile devant le visage, comme c'était l'usage avant l'introduction du grillage.  Enfin, il est plaisant, après avoir vu Suzanne se promener en cheveux la nuit tout le long du film, de voir la supérieure saphique être mise au lit en habit, après l'une de ses crises de folie.

     

    Crédits photos : La religieuse de Nicloux, Le Pacte ; Cérémonial des Capucines, Cérémonial des Adoratrices du Sacré Coeur, numérisés par Google ;Prise d'habit aux carmélites, par Jules Rougeron,; Abbaye ND du vivier ; Départ des annonciades de Menton : Fr3 ;Diurnal du bréviaire, numérisé par Google ; autres images libres de droit.


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